15 Jan
15Jan

2018, la fin d’une ère politique en Amérique latine ?


L’année 2018 était cruciale pour l’Amérique latine avec la tenue d’élections présidentielles au Brésil, au Mexique et en Colombie, soit dans 3 des 4 plus grandes puissances de la région. Ces élections ont été sources de surprises et ont engendré des changements majeurs du panorama politique de la région.

Un panorama politique renouvelé

En Colombie, Ivan Duque (Centre Démocratique, droite) succède à Juan Manuel Santos après sa victoire au second tour face au candidat de la gauche Gustavo Petro. Duque a centré sa campagne sur la contestation de l’accord de paix avec les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) signé par son prédécesseur Santos, qui avait permis à ce dernier de remporter le Prix Nobel de la Paix en 2016. Duque, dont le mentor est l’ancien président (2002-2010) Alvaro Uribe, qui a farouchement combattu les FARC durant son mandat, veut réviser l’accord de paix datant de 2016 et notamment durcir la position de l’Etat colombien à l’égard des anciens guérilleros des FARC mais aussi de l’ELN (Armée de Libération Nationale), une autre guérilla colombienne.   

Le Mexique a vu cette année la victoire de Andres Manuel Lopez Obrador, élu avec 53% des voix. Cette victoire est historique car c’est la première fois dans l’histoire du pays que les deux partis traditionnels, le PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) et le PAN (Parti Action Nationale), perdent une élection présidentielle. C’est également la première fois que la gauche, à travers le parti MORENA (Mouvement de Régénération Nationale) arrive au pouvoir au Mexique. Lopez Obrador a promu durant la campagne une politique socialiste pour réduire les inégalités et la pauvreté engendrées par la libéralisation du pays durant les années 80. Sa victoire marque un sursaut pour la gauche en Amérique Latine, après plusieurs années marquées par des défaites électorales (Argentine, Brésil, Chili, Pérou) qui ont mis fin au virage à gauche initié par la victoire de Chaves au Venezuela à la fin des années 90.  



Au Brésil, enfin, la campagne présidentielle mouvementée a abouti sur la victoire surprise de Jair Bolsonaro, candidat du Part Social-Libéral (PSL). Cet ancien militaire, député de l’Etat de Rio depuis 1991, est souvent comparé à Donald Trump à cause de ses nombreuses déclarations homophobes et sexistes. Sa fervente admiration pour l’époque de la dictature militaire brésilienne a attiré les foudres de ses opposants et de la presse internationale qui l’ont qualifié de fasciste. Son programme est centré sur la lutte contre la violence et la réduction drastique des dépenses publiques avec notamment des privatisations. Bolsonaro, qui a été soutenu par les milieux catholiques intégristes du pays, s’oppose à de nouvelles politiques en faveur des droits des femmes et des personnes LGBT ainsi que des minorités ethniques du pays. Tout comme Lopez Obrador au Mexique, son élection marque une défaite historique pour les partis traditionnels que sont le Parti des Travailleurs (PT, gauche) et le Mouvement Démocratique Brésilien (MDB, centre droit).


 La corruption, élément clé des élections de 2018

Lopez Obrador et Bolsonaro ont tout deux dénoncé durant leur campagne la corruption qui gangrène les institutions au Brésil et au Mexique. Le Mexique est ainsi classé 135 sur 180 selon l’indice de perception de la corruption publié par Transparency International et le Brésil 96. La corruption est inhérente à l’histoire contemporaine de l’Amérique Latine mais est longtemps resté cachée. Depuis quelques années, les scandales sont relayés largement par la presse internationale et les réseaux sociaux. 

L’affaire Odebrecht, du nom d’une compagnie de construction et de pétrochimie brésilienne qui a distribué de l’argent à de nombreux hommes politiques pour obtenir des contrats publics, a éclaboussé les trois derniers dirigeants du Brésil (Lula, Dilma Roussef et Michel Temer) ainsi que l’ex-président du Mexique, Enrique Peña Nieto, et a largement été utilisée par les deux nouveaux présidents pour critiquer le pouvoir en place et décrédibiliser leurs adversaires des partis traditionnels. 



Quels défis pour ces nouveaux dirigeants ?

 Le premier défi pour Ivan Duque en Colombie est la réintégration des 7000 « farianos », ex-guérilleros des FARC, au sein de la société colombienne. Duque s’est positionné en faveur de l’emprisonnement de certains de ces farianos et veut remettre en cause des aides, notamment financières, qui leur sont destinées dans le traité de paix. L’absence d’intégration et la rechute dans la violence des ex-guérilleros mettraient en péril l’accord de paix qui a mis fin à une guerre de plus de 50 ans vectrice de près de 250 000 morts. Duque ne doit pas saborder le processus de paix au risque de ternir les remarquables progrès en matière de réduction de la violence du mandat de son prédécesseur Santos. En effet, le nombre d’homicides pour 100 000 habitants en Colombie est passé de 34 à 24 entre 2012 et 2017, soit une réduction de 30%. La réduction de la violence passe aussi par le combat contre les plantations illégales de coca dont le nombre augmente depuis plusieurs années (+17% en 2017) et qui alimentent la production de cocaïne. En outre, Ivan Duque doit faire face aux conséquences du chaos vénézuélien sur son pays. En effet, depuis 2015 le Venezuela voit nombre de ses habitants (2 millions de personnes selon l’ONU, soit 6% de la population vénézuélienne) fuir le pays et ses troubles économiques et sociaux. La moitié de ces migrants se sont réfugiés en Colombie, pays voisin. Cet afflux de migrants peut menacer la stabilité du pays, qui semble quelque peu démuni face à l’urgence humanitaire. L’accueil de ces réfugiés est d’autant plus critique que de fortes tensions existent entre Duque et le régime de Maduro, réélu cette année au cours d’élections présidentielles marquées par une très forte abstention (près de 54%) et l’absence des principaux partis d’opposition qui avaient boycottés les élections municipales de 2017. Ivan Duque a par exemple laissé la porte ouverte à une intervention militaire colombienne au Venezuela. 


Au Mexique, Andres Manuel Lopez Obrador devra, comme ses prédécesseurs, combattre la violence endémique liée au narcotrafic. Nombre de dirigeants mexicains se sont déjà cassés les dents sur ce fléau qui a entrainé la création de zones non-contrôlées par l’Etat et la mort de plus de 220 000 personnes depuis 2006. Lopez Obrador devra aussi se frotter à ses opposants politiques et à l’influence des Etats-Unis et des institutions libérales comme le FMI afin de mettre en place la politique sociale promise pendant sa campagne. La réduction de la pauvreté, qui touche près de la moitié de la population mexicaine, promet d’être un défi épineux pour Lopez Obrador.

Jair Bolsonaro doit enfin appliquer son programme de lutte contre la violence, notamment dans les grandes villes. La violence y est omniprésente, comme à Rio de Janeiro où plus de 7500 homicides par balles surviennent chaque année. L’un des grands défis qu’attend Bolsonaro est aussi la redynamisation de l’économie brésilienne, qui a connu la pire récession de son histoire entre 2015 et 2016 (-3% de PIB pour chacune de ces deux années). Pour relancer la croissance, Bolsonaro bénéficie du soutien des milieux d’affaires brésiliens grâce à son programme néo-libéral fomenté par Paulo Guedes, économiste de l’école de Chicago et récemment nommé Ministre de l’Economie. En plus de ces défis fondamentaux, Bolsonaro devra gagner la confiance et l’estime de ses pairs internationaux, lui qui est surtout connu pour ses saillies polémiques.

Jean-Maroun Besson

     

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