28 Apr
28Apr


Sous la pression populaire, le Président soudanais Omar el-Béchir a fini par être destitué en avril 2019, après quatre mois de manifestations. L’armée est désormais investie des pleins pouvoirs, ce qui laisse les manifestants dubitatifs, ceux-ci exigeant la mise en place immédiate d’un pouvoir civil. La mobilisation continue.


Une contestation inédite qui n’a cessé de prendre de l’ampleur en quatre mois 


Les mouvements qui agitent aujourd’hui le Soudan ont débuté le 19 décembre 2018. En effet, c’est à cette date que le gouvernement d’Omar el-Béchir décida de mettre en application le plan d’austérité du Fonds monétaire international. Une hausse générale des prix résulte de cette politique : celui du pain triple, là où celui de l’essence augmente de 30%. 

En période de pleine récession économique et sous l’impulsion du Parti communiste, cette décision provoque une véritable révolte des Soudanais, qui n’auront de cesse de manifester pacifiquement pendant quatre mois consécutifs. Omar el-Béchir fait alors arrêter le secrétaire général du parti communiste, certains journaux sont censurés et l’armée matraque ou tire à balles réelles sur des manifestants de plus en plus nombreux. 

A partir du 6 avril - date anniversaire de la révolution de 1985 – certains manifestants décident de siéger devant le quartier général de l’armée à Khartoum pour lui demander son soutien. Le ralliement d’une certaine partie de celle-ci à la cause du peuple soudanais est notamment déterminant dans la chute du régime et les manifestations prennent pendant cinq jours une toute nouvelle ampleur. 

Le jeudi 11 avril 2019, l’armée soudanaise fait en effet destituer et arrêter le président Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 30 ans. Par ailleurs, l’ancien numéro 2 du gouvernement, Salah Gosh, principal responsable des répressions lors des manifestations, démissionne le 13 avril. 

Les instances militaires désormais au pouvoir instaurent alors un Conseil militaire de transition (CMT) et promettent la tenue d’élections dans les deux ans. Le nouvel homme fort du Soudan, Abdel Fattah Al-Burhane, à la tête du Conseil militaire, décrète l’état d’urgence pendant trois mois, la fermeture de l’espace aérien, la suspension de la Constitution et annonce la libération de tous les manifestants arrêtés ces derniers mois. Il s’engage de plus à « éliminer les racines » de l’ancien régime d’Omar el-Béchir et surtout à faire juger tous les responsables de la mort des manifestants. Selon l'ONG Human Rights Watch, ce sont plus de 70 personnes qui ont trouvé la mort dans les violences liées aux récentes manifestations.


Une manifestation qui ne faiblit pas face à ce « nouveau » Conseil militaire 


Si à l’annonce de l’éviction d’Omar el-Béchir, une grande joie était perceptible, celle-ci a rapidement laissé place à la déception et à la colère. Le délai de deux ans promis par le nouveau Conseil militaire au pouvoir paraît en effet trop long pour certains Soudanais, qui condamnent ce qui semble à leurs yeux être une manipulation et un véritable coup d’état militaire. L’Association des professionnels soudanais (APS), mouvement à l’initiative du soulèvement, ainsi que de nombreux partis d’opposition et syndicats ont notamment accusé les militaires de « voler la révolution » et de tenter de mettre fin à toute forme de négociations avec la population. Dans un communiqué publié par l’Alliance pour la liberté et le changement, composée de l’APS et de l’opposition, on peut également lire : « Le régime a mené un coup d'Etat militaire en présentant encore les mêmes visages [...] contre lesquels notre peuple s'est élevé ». 

Les militaires islamistes aujourd’hui au pouvoir au Soudan appartenaient en effet à la garde rapprochée du Président. Certains membres du CMT suscitent également, à raison, de grandes inquiétudes chez l’opposition : Mohamed Hamdan Daglo, surnommé Hemedti, a par exemple rejoint le CMT dernièrement, malgré son statut de chef des Rapid Support Forces, milices jenjawid ayant été à l’œuvre dans le nettoyage ethnique se déroulant au Darfour depuis 2003. 

Refusant que d’anciennes figures éminentes du gouvernement déchu ne se maintiennent au pouvoir, les manifestants ont exigé le 15 avril la dissolution du Conseil militaire et une transition civile immédiate. Les leaders du mouvement de contestation ont aussi déclaré suspendre leurs discussions avec le Conseil militaire et appelé à une intensification de la mobilisation. Celle-ci demeure ainsi importante, surtout autour du siège devant le QG de l’armée à Khartoum ; la foule y scandait encore le slogan « Liberté, paix, justice » le 22 avril dernier. Jeudi 25 avril, l’APS a également appelé à une « manifestation d’un million de personnes » à Khartoum pour maintenir la pression sur l’armée.


30 ans de règne despotique et de mauvaise gouvernance


Cette contestation soudanaise trouve en partie ses origines dans l’histoire du pays. Depuis décembre, hommes comme femmes, très nombreuses dans ce mouvement, à l’instar de l’influente Deema Alasad, ont exprimé leur désarroi face à une dictature sanglante, une corruption rampante et une économie exsangue. 

D’après une étude de Transparency International, le pays serait en effet classé neuvième pays le plus corrompu du monde. Dans un pays de plus de 40 millions d’habitants, cela ne rend la situation économique que plus inquiétante. Depuis la sécession du Soudan du Sud en 2011, région très riche en hydrocarbures, le Soudan a été amputé de près de 80% de ses ressources pétrolières. Par contraste avec le boom économique des années 2000, une forte récession économique s’en est ainsi suivie. 70% du budget national est de surcroît consacré aux dépenses militaires et de sécurité.

Omar el-Béchir n’a en effet eu de cesse lors de ses 30 ans de pouvoir d’engager son pays dans de nombreuses guerres sanglantes. Après un coup d’Etat en 1989, Omar el-Béchir se hisse à la tête du Soudan, en devient le Président officiel en 1993 et souhaite alors y installer un islam radical. D’une main de fer, il réprime toute rébellion : il combat d’abord les « infidèles » du Sud du pays, à majorité chrétienne et animiste, et poursuit ainsi jusqu’en 2005 une guerre civile qui aura engendré près de deux millions de morts. En 2003, il mate l’insurrection qui a éclaté dans la province occidentale du Darfour. Son gouvernement arme alors des milices de nomades arabisés et procède à une vaste épuration ethnique dans des villages de musulmans négro-africains. Malgré la mise en place de la Minuad, mission conjointe des Nations Unies et de l’Union Africaine, cette guerre civile cause la mort de 300 000 civils et engendre 2,7 millions de déplacés. Enfin, depuis 2015, l’armée soudanaise est également déployée au Yémen dans le cadre de la coalition sous commandement saoudien. 

L’émission par la Cour pénale internationale (CPI) d’un mandat d’arrêt international en 2009 pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » puis en 2010 pour « génocide » au Darfour contre Omar el-Béchir n’empêchera cependant pas le dictateur d’être réélu en 2010 puis en 2015 pour un cinquième mandat. A ce jour, Omar el-Béchir n’a toujours pas comparu devant la Cour et le CMT refuse pour l’instant d’extrader l’ex-Président emprisonné. 


L’intervention des puissances étrangères : vers une sortie de crise ?

Selon le géopolitologue Marc Lavergne, cette reprise en main de la révolution par l’armée est « sans doute un soulagement pour beaucoup de chancelleries occidentales ». De nombreux pays occidentaux et arabes ont apporté leur soutien au Conseil militaire ; Hemedti a notamment reçu un chargé d’affaires américain au palais présidentiel le dimanche 21 avril, les liens entre la CIA et Omar el-Béchir ayant été très forts auparavant. Washington a cependant affirmé soutenir la « demande légitime » d’un gouvernement civil exigée par les Soudanais et plusieurs pays occidentaux ont appelé les autorités à ne pas avoir recours à la violence face aux manifestants.

Ce même 21 avril, l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis ont aussi exprimé leur soutien au CMT, et ont annoncé l’envoi d’aide humanitaire, de médicaments et de pétrole au « peuple frère du Soudan », aide s’élevant à 3 milliards de dollars, et vivement condamnée par la contestation. Les deux puissants pays du Golfe craignent vraisemblablement toute déstabilisation dans la Corne de l’Afrique.  

L’ONU a quant à elle promis une aide financière, et son secrétaire général Antonio Guterres a aussi nommé un émissaire pour le Soudan afin d’aider l’Union africaine (UA) à conduire une médiation dans ce pays, après que le Conseil de sécurité a échoué à faire approuver un texte. 

L’Egypte semble enfin avoir un rôle déterminant à jouer dans cette crise. Mardi 23 avril, Abdel Fattah Al-Sissi, président égyptien, mais également président actuel de l’Union Africaine (UA), avait invité au Caire plusieurs chefs d'Etat africains pour y parler entre autres de la situation au Soudan. Tous ont reconnu « la nécessité de donner plus de temps aux autorités soudanaises pour rétablir un régime constitutionnel » : trois mois supplémentaires ont ainsi été accordés par l’organisation au CMT pour négocier au mieux la difficile transition politique qui attend le pays. 

A l’instar de l’Algérie, l’avenir du Soudan semble encore très incertain et nul ne peut dire si ces mouvements mèneront à une réelle émancipation et à un souffle de liberté au Soudan.

Alix Khaitrine 

Commentaires
* L'e-mail ne sera pas publié sur le site web.