30 Jul
30Jul

Le 29 juin dernier, à Madrid, s’est tenu le premier sommet de l’OTAN auquel ont été convié ses puissances partenaires dans l’espace Indo Pacifique. Espace stratégique d’importance capitale pour les Etats-Unis qui le définissent comme s’étendant de la côte Ouest des Etats-Unis à l’Océan Indien [1], l’espace Indo Pacifique représente plus des 2/3 de l’économie mondiale et englobe plus de 50% de la population mondiale. Son importance se fait d’autant plus grande que les tensions en Europe ont accentué le déplacement du « centre du monde » vers cette zone bien que celui-ci fut déjà bien entamé depuis 1985,. Ainsi, à l’occasion de ce sommet, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a évoqué le défi posé par la guerre en Ukraine et ses effets déstabilisateurs mais il en a aussi profité pour mettre l’accent sur les tensions toujours plus préoccupantes dans le Pacifique Sud en soulignant, de manière plus ou moins voilée, le risque que constitue la montée de la Chine pour la sécurité internationale dans cette zone.  Si cette position n’a rien de surprenant historiquement, étant donné qu’elle reprend largement la vision stratégique défendue par les Etats-Unis depuis plusieurs décennies, le fait d’aborder cette problématique hors du cadre traditionnel des alliances bilatérales et trilatérales qui dominent encore les relations en Asie Pacifique n’est pas anodin. De fait, pour les Etats-Unis, comme pour ses alliés, la question du „Containment „ [2] de la Chine passe habituellement par des accords tel que le traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les Etats-Unis et le Japon adopté le 16 mai 1960 et qui demeure un des piliers de la présence américaine en Indo Pacifique. Cependant, Il ne s’agit pas pour autant pour ces puissances d’intégrer l’OTAN comme l’a rappelé John Kirby[3], coordinateur des communications stratégiques au conseil de sécurité de la maison Blanche. Dès lors, on peut se demander si, à défaut d’une extension de l’OTAN, une structure d’alliance similaire est tout de même possible en Asie en dehors du domaine strictement économique. 

A ce titre, certains analystes politiques soulignent l’importance de groupements informels déjà existants et qui pourraient potentiellement, notamment dans le contexte géopolitique actuel, aboutir à la création de réelles alliances dont le rôle et la nature seraient proche de l’OTAN. Parmi ces groupements, l’un apparait plus prometteur que les autres, le Quadrilateral Security Dialogue (ou Quad). Cette initiative lancée en 2007 et ravivée en 2017, réunissant le Japon, l’Australie, L’inde et les Etats-Unis a également fait les gros titres récemment avec son quatrième sommet qui s’est tenu le 24 mai 2022 à Tokyo, soit à peine plus d’un an après le sommet précédent en mars 2021. L’accélération que connait le Quad a ainsi rapidement été sujette à critique, notamment de la part de la Chine qui l’a qualifié de « clique qui pourrait commencer une nouvelle guerre froide », pour reprendre les mots du ministre des affaires étrangères chinois Wang Yi en mars 2021. Pourtant le Quad dans sa forme actuelle ne possède pas de dimension militaire et son volet sécuritaire reste relativement anecdotique étant donné les différences d’opinions entre les membres du Quad, notamment entre l’Inde et les Etats-Unis, sur ce qu’il doit devenir. 

Alors, qu’en est-il réellement ? Qu’est-ce que le Quad à l’heure actuelle ? Quelles sont les dynamiques qui l’animent et qui s’y font face ? et y-a-t ’il lieu d’y voir, comme l’entend la RPC et certains de ses alliés, un futur OTAN de l’Indo Pacifique ? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre au cours de cette série de 3 articles. Le premier article traitera ainsi des origines du Quad et de sa forme actuelle. Puis dans un second article nous verrons quels sont les dynamiques qui s’opposent au sein même du Quad et en quoi la crise peut aujourd’hui nous amener à repenser son rôle. Enfin nous interrogerons la faisabilité ainsi que la légitimité de faire du Quad un « OTAN de l’Asie » en présentant différents scenarii d’évolution pour celui-ci.             

Tout d’abord, avant de se pencher sur la création du Quad, il s’agit de souligner que celui-ci est loin d’être la première initiative multilatérale en Indo Pacifique. Dans le domaine économique on peut citer l’ASEAN, fondée le 8 aout 1967 par la déclaration de Bangkok, qui regroupe déjà une dizaine de membres, et son regional forum qui a lieu chaque année depuis 1994 et convie 27 membres dont la majorité sont extérieurs à l’ASEAN[4] comme le Japon, la Corée du Sud, la Chine, L’Inde et les Etats-Unis. Pour ce qui est du domaine stratégique, qui est celui qui nous intéresse ici, on peut également évoquer l’OTASE, fondée le 8 septembre 1954 en pleine guerre froide par les Etats-Unis, rejoint par 7 autres états, et dissoute le 30 juin 1977, qui avait vocation à être un véritable OTAN asiatique. Mais si l’OTASE a disparu avec le réchauffement des relations entre pays asiatiques en dépit de la guerre froide, le retour des tensions pose inévitablement la question du retour de formes de coopérations similaires.

L’idée Quad n’est cependant pas, à l’origine, apparue comme une réponse à ces nouvelles tensions : En effet, les bases opérationnelles du Quad ont été posées avec la campagne d’aide humanitaire menée conjointement par les futurs membres du Quad lors du boxing day tsunami qui a touché les côtes des pays d’Asie pacifique en 2004. Le but était pour ces 4 pays de coordonner leurs efforts pour mener au mieux cette opération et cela renvoie à un objectif important du Quad, y compris dans sa forme actuelle, qui est de contribuer au développement des pays du Pacifique Sud en apportant une alternative plus multilatérale à l’aide majoritairement bilatérale offerte par la Chine. Le fondement idéologique du Quad est, lui, à trouver dans un discours, connu sur le nom de « confluence of the two seas speech», prononcé par Shinzo Abe en 2006, alors qu’il était candidat aux élections pour le poste de premier ministre au Japon. Dans ce discours, il appel à la constitution d’un « réseau d’états unis autour des principes de liberté et de primauté de la loi (la loi internationale ici) qui s’étendrait d’un bout à l’autre du continent eurasiatique ». Cette vision, également partagée par le ministre des Affaires étrangères Japonais de l’époque, Taro Aso, est alors soutenu par le premier ministre In Dien Manmohan Singh puis par le Vice-président Etats-Unien Dick Cheney ce qui aboutit à une première rencontre des membres du Quad en mai 2007 en marge du forum de l’ASEAN à Manille. Ce premier groupement doit cependant rapidement faire face à d’importants défis, certains se posant encore dans sa forme actuelle, qui aboutissent à sa « dissolution » moins d’un an plus tard. En effet, l’opposition de la Chine à ce projet est cause d’inquiétude pour plusieurs membres du Quad qui en reste dépendant économiquement, notamment l’Australie dont le premier ministre Kevin Rudd, élu en 2007, refuse de participer au sommet du Quad de janvier 2008. La Corée du Sud, autre allié stratégique des Etats-Unis dans la région, se montre aussi particulièrement sceptique vis-à-vis du Quad qu’elle voit comme trop ouvertement en confrontation avec la Chine et se refuse à le rejoindre.

      Cependant, en dépit de cet échec, les membres du Quad continuent de renforcer leur coopération via plusieurs accords bilatéraux et trilatéraux : On peut par exemple citer le Communication Compatibility and Security Agreement signé entre l’Inde et les Etats-Unis en 2015. Sur le plan militaire, les exercices Malabar, lancés en 1992 entre l’Inde et les Etats-Unis, voit la participation du Japon pour la première fois en 2015. De même l’exercice de défense aérien des forces australiennes Pitch Black en 2019 se fait en coopération avec l’armée indienne. Ces élans de coopérations bénéficient par ailleurs d’un contexte favorable avec l’escalade des tensions entre la Chine et l’Inde qui mènent jusqu’à la confrontation armée entre les deux pays au Tripoint de Doklam le long de la LAC à l’été 2017 - le tout appuyé par le retour de Shinzo Abe au poste de premier ministre en 2012. Ainsi le deuxième sommet du Quad à lieu, là encore, à Manille, le 12 novembre 2017. Au programme, l’importance de la dénucléarisation de la Corée du Nord, le maintien de la liberté de navigation en Indo Pacifique et l’émergence du concept de « free and open Indo Pacific » qui est au centre des objectifs du Quad. Ce retour du Quad a, sans surprise, suscité l’ire de la Chine et de la Russie dont le ministre des Affaires étrangères Sergei Lavrov a rejoint les critiques adressées par Wang Yi à l’OTAN et au Quad. La position résolument provocatrice vis-à-vis de la Chine du secrétaire d’État américain sous l’administration Trump, Mike Pompéo, a également contribué à donner du crédit aux revendications chinoises parmi les Etats de la région extérieure au Quad.   

Malgré cela, le Quad reste un groupement informel, centré sur une adhésion à des valeurs communes et n’affiche pas de réelles ambitions sur le plan militaire ou institutionnel. Ce « democratic security diamond », comme le décrit l’ex premier ministre japonais Shinzo Abe, qui devait s’opposer aux puissances autoritaires en progression dans la région, semble ainsi paradoxalement dépourvu de volet sécuritaire. Le Quad 2021 joint statement, qui précise les principaux objectifs et groupes de travail mis en place dans le cadre du Quad, fait mention d’un groupe dédié à l’effort de vaccination face au Covid 2019, au partage de technologie, et réaffirme la volonté de ses membres à garantir un ordre maritime basé sur le droit international. Néanmoins il n’évoque pas directement la Chine comme étant une menace à cet ordre. Mais il ne s’agit pas pour autant de considérer cet état actuel comme immuable et d’ignorer les différences de visions qui existent entre les membres de cette organisation et qui pourraient amener à une refonte totale de celle-ci en fonction de quelle opinion domine son développement. C’est ce que nous tenterons de clarifier dans l’article suivant en analysant en détail les différentes réalités auxquelles sont confrontés les membres du Quad, quelles conceptions de ce dernier ils défendent et en quoi leurs positions pourraient éventuellement changer face aux crises majeures de ces 5 dernières années. 

Un article proposé par Romain Fernex, Étudiant en double diplôme à l’ESCP et à l’université de Corée 

Notes :  [1] Je m’appuie ici sur la définition donnée dans une note de la Maison Blanche sur la stratégie Indopacifique des Etats-Unis publiée en février 2022 et qui rejoint à bien des égards la définition de la « Broader Asia » dont parle Shinzo Abe dans son discours sur la Confluence of the two seas. La note en question étant la suivante : https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2022/02/U.S.-Indo-Pacific-Strategy.pdf

[2] Le terme utilisé ici est entre guillemets car employé de manière volontairement anachronique. Il provient à l’origine du diplomate américain George F. Kennan en 1946 qui l’a utilisé pour qualifier la stratégie des Etats-Unis vis-à-vis du monde communiste pendant la guerre froide. Il s’agit, en effet, également au cours de cet article d’interroger la pertinence d’une vision bipolaire des rivalités en indopacifique à travers l’éventuelle opposition d’un bloc Sino-russe face à un bloc démocratique qu’incarnerait le Quad. 

[3] citation complète de John Kirby: “[…]And this isn’t about an Asian version of NATO. NATO is a transatlantic security alliance, the most effective, the most viable one in the world, the most successful one in the world. ». Celle-ci est tirée du document suivant : https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/06/23/press-briefing-by-press-secretary-karine-jean-pierre-and-national-security-council-coordinator-for-strategic-communications-john-kirby/

[4] Il est à noter que la Chine, le Japon et la Corée du Sud sont également membres de l’ASEAN +3, une initiative d’extension de l’ASEAN portée par Singapour, dont la première rencontre s’est tenue en 1997 lors du sommet de Singapour. 


Sources [pour l’ensemble des 3 articles] :   

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