Au pouvoir depuis 2014 et réélu en 2019, Narendra Modi semble incarner le paradoxe d’une Inde tournée vers le développement économique et l’ouverture commerciale mais toujours marquée par l’obscurantisme religieux et le repli identitaire. Entre répression des minorités religieuses et soutien de certaines milices, le gouvernement de Modi est, en effet, régulièrement qualifié de nationaliste, anti musulman et xénophobe. Alors, quel est le bilan des mandats de celui qui avait orienté son programme autour du développement économique de son pays ? De quelle manière les minorités sont-elles régulièrement réprimées par ce gouvernement ? Dans quelle mesure la crise du COVID 19 est-elle révélatrice des limites du pouvoir en place ?
Le 23 mai 2019, Narendra Modi devient le premier Premier ministre indien à être réélu consécutivement à la majorité absolue. Elu chef du gouvernement pour la première fois en 2014, cet homme politique nationaliste commence sa carrière dans les rangs de la milice fasciste RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh), créée en 1925 et inspirée par Hitler et Mussolini, avant de rejoindre le parti du BJP (Bharatiya Janata Party) en 1985. Narendra Modi est ensuite désigné ministre en chef de la région du Gujarat en 2001. Durant son mandat, il se voit attribuer le surnom de “Boucher du Gujarat” suite à son implication dans les pogroms anti musulmans.
Lors des élections de 2014, Modi parvient à éliminer le parti de droite Congress-I, alors au pouvoir depuis soixante-sept ans, en promouvant un programme axé sur le développement économique. Depuis, le gouvernement de Modi a œuvré à privatiser et libéraliser l’économie indienne, notamment en dérégulant les politiques d’investissement direct à l’étranger de l’Inde, en accroissant le nombre d’investissements étranger dans de nombreux secteurs et en investissant dans la défense et les transports. Par ailleurs, son gouvernement est à l’origine d’une réduction des dépenses sociales. Il cherche également à améliorer l'efficacité de la bureaucratie indienne en centralisant le pouvoir. Le bilan de la politique économique de Modi est relativement décevant : le pays atteint le taux de chômage le plus élevé depuis quarante ans, subit une forte inflation sur les prix des produits alimentaires, encaisse une baisse des exportations ainsi qu’un déclin de l’investissement.
Concernant le positionnement politique de Modi, le politologue spécialiste du sous-continent indien Christophe Jaffrelot, le décrit ainsi : « les années du gouvernement de Narendra Modi sont marquées par une dégradation de l’État de droit, que ce soit en matière de justice ou de police. Finalement, le pouvoir est en passe d’établir de facto un État hindou, en prétendant laisser s’exprimer la volonté du peuple et respecter ses sentiments religieux ». Souvent qualifié de nationaliste, anti-musulman et xénophobe, le gouvernement de Modi établit en effet une politique hindouiste guerrière qui se caractérise par un nombre important d’évènements tragiques.
En 2017, la journaliste Gauri Lankesh, engagée dans la lutte contre la politique hindouiste du gouvernement en place, est assassinée par un citoyen qui « a agi en suivant les consignes de ses leaders pour sauver la religion hindoue ».
En février 2019, l’attentat revendiqué par un groupe djihadiste pakistanais au Jammu et Cachemir entraîne la mort de 40 soldats indiens. En Août 2019, peu de temps après la réélection de Modi, le gouvernement décide d’abolir l’autonomie constitutionnelle de la région du Cachemire, coupant ainsi la région et ses 1000 habitants du monde pendant près de 6 mois.
En décembre 2019, malgré les manifestations en Inde et à l’étranger, le gouvernement adopte l’amendement discriminatoire Citizen Amendment Act qui prévoit de simplifier l’accès à la nationalité indienne pour les immigrés afghans, pakistanais et bangladais mais exclut les réfugiés musulmans de ce processus.
Le gouvernement de Narendra Modi témoigne du paradoxe indien : la combinaison de la modernité et du repli nationaliste. En ce sens, les minorités confessionnelles, qui représentent 20% de la population, sont régulièrement réprimées. Ainsi, les groupes extrémistes du Sangh Parivar, poussés par le retour au pouvoir du BJP, ont accentué les campagnes de conversion des musulmans à l’hindouisme et les rumeurs discriminantes à l’égard de cette minorité. A cela s’ajoute l’augmentation des exactions contre les musulmans et les dalits par les milices de protection de la vache, animal sacré pour les hindous. Ces discriminations sont encouragées par le gouvernement de Modi puisque certains ministres ont publiquement célébré les protecteurs de la vache et Narendra Modi lui-même, malgré des condamnations ponctuelles de ces exactions, n’hésite pas à stigmatiser les minorités pour gagner des scrutins régionaux importants.
L’Inde avec ses 1,4 milliards d’habitants, soit un sixième de l’humanité, est aujourd’hui le deuxième pays le plus impacté par la pandémie. En effet, 23 millions de cas et 300 000 morts ont été signalés et le bilan véritable pourrait être beaucoup plus élevé que les chiffres officiels. Malgré l’émergence d’un variant agressif ainsi que la densité et la promiscuité de la population indienne, le gouvernement de Modi exerce une responsabilité dans le ravage que connaît le pays. Tout en affirmant pendant de longs mois que son pays gérait la pandémie à la perfection, il a ignoré les indices du futur cataclysme qu’allait subir son pays. En outre, l’obscurantisme qui caractérise son gouvernement l’a poussé à maintenir les rassemblements religieux hindous avec des millions de personnes, devenus des clusters. Les meetings politiques ont aussi été maintenus sans respect des distanciations sociales ou des gestes barrières.
Finalement, comme dans plusieurs pays en voie de développement, la gestion de la crise du COVID 19 a agi comme un révélateur des limites du gouvernement indien, un gouvernement nationaliste, obscurantiste et confronté aux obstacles du développement économique d’un pays sur peuplé et encore inégalement sorti de la pauvreté.
Emilie Dubernard
Sources :
https://www.franceculture.fr/politique/inde-narendra-modi-face-a-la-pandemie-de-covid-19
https://www.humanite.fr/ou-va-linde-du-premier-ministre-narendra-modi-685885
https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271071-religion-et-politique-dans-linde-de-narendra-modi
https://fr.wikipedia.org/wiki/Narendra_Modi#Premier_mandat_2