Alors que l’escalade de violence entre les États-Unis et la République islamique d’Iran ne cessait de croître ces derniers jours, Donald Trump a rajouté de l’huile sur le feu en ordonnant l’assassinat d’une figure militaire iranienne majeure en la personne du général Qassem Soleimani le 3 janvier 2020. Dès lors, les inquiétudes quant à des opérations toujours plus meurtrières entre les deux puissances et un embrasement général de la région semblent plus que jamais légitimes.
L’escalade de violence
Avant d’analyser le dernier événement en date, intéressons-nous tout d’abord à la succession de crises ayant abouti à la situation que l’on connaît aujourd’hui.
Depuis le début, Washington adopte une position hostile à l’égard de Téhéran comme a pu le montrer la sortie des USA de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien le 8 mai 2018 en même temps que la décision d’imposer « le niveau le plus élevé de sanctions économiques possibles » contre l’Iran. A cela on peut également ajouter l’incident du Golfe d’Oman en juin 2019 lors duquel les USA ont accusé l’Iran d’avoir attaqué deux pétroliers et ont en conséquence déployé 1000 soldats supplémentaires au Moyen-Orient.
Mais depuis quelques jours, la situation est devenue encore plus extrême pour ne pas dire hors de contrôle tant les crises se succèdent rapidement et avec une intensité toujours plus forte.
Le 27 décembre, un sous-traitant américain est tué dans la base de Kirkouk par des tirs de roquette attribués à des forces iraniennes.
Le 29 décembre, les USA bombardent à leur tour une faction pro-iranienne près d’Al-Qaïm à la frontière irako-syrienne faisant 25 morts et 51 blessés.
Le 31 janvier, lors de l’hommage aux victimes du raid américain deux jours plus tôt, les participants s’en prennent à l’ambassade américaine de Bagdad rappelant le tristement célèbre épisode de la prise d’otages de l’ambassade américaine de Téhéran en 1979. Trump quant à lui décide de menacer l’Iran via son outil de communication préféré, Twitter.
Aux paroles succèdent les actes avec l’assassinat de Qassem Soleimani le 3 janvier 2020 qui prévoyait selon un communiqué officiel du ministre américain de la Défense de s’en prendre à « des diplomates et militaires américains en Irak et dans la région ». Soleimani qui était le patron de la force Al-Qods, le bras armé de l’Iran hors de ses frontières, a été tué par une frappe de drone à l’aéroport de Bagdad. Cette attaque a aussi été fatale a Mehdi al-Mouhandis, le numéro deux du Hachd-Al-Chaabi, la milice pro-irannienne responsable de l’attaque de l’ambassade américaine 4 jours plus tôt.
Une 3ème guerre mondiale ?
Après la mort de Soleimani, l’Iran a immédiatement réagi en annonçant que si des ripostes il y aura, celles-ci seraient ciblées aussi bien dans le temps que dans l’espace. Ainsi, à l’inverse d’un joueur de poker qui aurait dévoilé toutes ses cartes comme Trump, l’ayatollah Ali Khamenei préfère l’image d’un joueur d’échecs préparant patiemment le coup qui fera mal à son adversaire. Toutefois, il n’a pas manqué d’ajouter que ces ripostes seraient plus que conséquentes : « une vengeance implacable attend les criminels ».
Mais que peut bien faire l’Iran face à la première puissance mondiale ? Si l’option d’une guerre directe n’est pas envisageable devant la puissance de frappe de l’Oncle Sam, l’Iran dispose d’autres leviers pour préparer sa contre-attaque.
Dans un premier temps, l’Iran reste un pays avec un potentiel nucléaire non négligeable d’autant que les espoirs de négociation autour d’un nouvel accord de Vienne se sont envolés avec la mort de Soleimani. Si la capacité nucléaire iranienne demeure incomparable face à celle des États-Unis, l’Iran peut s’en servir comme assurance vie pour son régime.
Dans un deuxième temps, l’Iran en tant que leader de l’arc chiite peut jouer de ses relations avec les différents pays de la région contre les intérêts des USA. En effet, il dispose non seulement d’alliés majeurs mais aussi de groupes armés opérant avec efficacité dans chacun de ces pays. Parmi eux on compte le Hezbollah au Liban, le Hamas en Palestine, les milices chiites en Irak, les rebelles houthis au Yémen ou encore la branche chiite alaouite de laquelle est issu le clan el-Assad au pouvoir en Syrie. L’Iran peut donc très bien adopter une stratégie de nuisance et mener des guerres par procuration chez ses alliés en exacerbant la rhétorique de l’anti-américanisme. S’agissant d’une guerre symbolique, plus que des civils on peut s’attendre à ce que des ambassades ou des troupes américaines dans ces zones soient ciblées.
Dans un troisième temps, l’Iran possède un autre atout géostratégique dans sa manche : le détroit d’Ormuz. En agissant sur la fluidité des échanges, Téhéran peut directement influer sur le cours des matières premières, et notamment le pétrole dont le prix a augmenté de 4% depuis la mort de Soleimani. Un blocage du détroit alors que 30% des hydrocarbures mondiaux y circulent auraient des conséquences importantes. De plus, l’Iran peut jouer sur la sécurité du détroit puisqu’il dispose de missiles à proximité dont ils pourraient se servir contre la flotte américaine qui traverse la zone.
Encore une décision « irréfléchie » de la part de Trump ?
Devant les menaces et le potentiel de nuisance de l’Iran, beaucoup peinent à comprendre la logique d’une telle décision dans un contexte local qui plus est difficile pour les États-Unis.
En effet, des manifestations ont lieu en Irak depuis le 1er octobre 2019 réclamant la démission du gouvernement mis en place par les États-Unis depuis 2003 et la fin de la guerre, désormais noyauté par les Iraniens qui cherchent à s’installer dans les hautes sphères du pouvoir irakien. A l’origine, le gouvernement devait s’appuyer sur la logique des « deux piliers » que sont l’Arabie Saoudite et l’Iran pour stabiliser le pouvoir. Aujourd’hui, le constat est tout autre puisque le mouvement de manifestations a entraîné la démission du gouvernement mais aussi la mort de 460 personnes et environ 20000 blessés.
Dès lors, la mort de Soleimani n’a fait que rajouter de l’huile sur le feu d’autant plus que le général iranien est considéré comme un martyr. Il a d’ailleurs combattu contre Daesh ce qui lui confère une certaine aura et surtout l’image d’un combattant de la résistance ce qui explique pourquoi sa figure rassemble des groupes de tout bord face à un ennemi commun que sont les USA.
Devant tant de facteurs à priori négatifs, on peut légitimement s’interroger sur les avantages que peut tirer Donald Trump de l’assassinat de Qassem Soleimani. Pour y répondre, le contexte doit être nuancé par l’angle d’attaque que l’on adopte. Pour l’instant, seul le point de vue iranien a été étudié mais si l’on se place du côté américain, la décision de Trump prend tout de suite plus de sens. En effet, le fil rouge qui doit animer le président américain est celui des élections à venir pour tenter de briguer un deuxième mandat en novembre 2020. Par conséquent, intéressons-nous aux conséquences d’un tel acte sur la scène politique intérieure.
Tout d’abord, le contexte peut avoir aidé Donald Trump dans le sens où l’escalade de violence entre les deux puissances qui a vu la mort d’un sous-traitant américain ainsi que l’attaque de l’ambassade américaine peut servir de justificatif.
Ensuite, si Soleimani est un héros au Moyen-Orient, il n’en est rien aux États-Unis où il est considéré comme un terroriste. Son élimination en elle-même n’a donc pas causé de remous aux USA, notamment chez les démocrates qui se contentent de contester prudemment la légalité de la frappe pour ne pas apparaître comme les défenseurs d’un terroriste.
Enfin, à l’approche des nouvelles élections et donc du constat qui va être fait de son mandat, le bilan international de Trump est peu flatteur : tensions avec l’Iran, guerre commerciale avec la Chine, détente remise en cause avec la Corée du Nord… Mais une de ses promesses a été le retrait des troupes américaines du Moyen-Orient et force est de constater qu’avec celui de la Syrie et celui qui se profile en Irak puisque les Iraniens demandent un départ des forces américaines, Trump aura tenu parole.
On lui reproche toutefois une certaine hypocrisie à cause de tweets qu’il avait postés à propos de Barack Obama, l’image se passe de commentaires.
Finalement, tel Ronald Reagan en 1984, Donald Trump recrée le clivage entre un parti américain et un parti anti-américain en insistant sur la fibre patriotique autour de l’élimination d’un terroriste dont la portée est à situer dans la lignée de ceux d’Oussama Ben Laden et d’Abu Bakr al-Baghdadi. Si le pari peut se révéler gagnant pour Trump aux prochaines élections, la question restera de savoir à quel prix.