La Libye est aujourd’hui le champ clos de violences régionales, ethniques et religieuses. C’est un conflit armé, à résonnance mondiale entre des acteurs asymétriques. Les « deux guerres civiles libyennes » ont tué près de 45 000 personnes depuis 2011. Pourtant, la « Jamahiriya arabe Libyenne » portait l’espoir, l’afro-optimisme, le panarabisme et le socialisme arabe. Comment ce pays ambitieux initiateur d’une renaissance arabe s’est transformé en un véritable fossoyeur de la stabilité sahélienne ? Des Etats frontaliers aux puissances occidentales, de l’ONU à l’Etat Islamique, quels sont les acteurs qui interfèrent directement ou indirectement dans le bourbier libyen ? Quels intérêts motivent ces puissances à s'engager dans ce conflit ?
Avant de devenir britannique et française, « nos amis de Benghazi » étaient italiens. C’est à l’issue du Traité de Paris de 1947 que la colonisation italienne prend fin. Par la suite, la Tripolitaine et la Cyrénaïque intègre « l’empire où le soleil ne se couche jamais » tandis que le Fezzan est sous contrôle Français.
Le 1er mars 1949, Idris Al-Sanussi proclame l’indépendance de la Cyrénaïque et le 24 décembre 1951 Al-Sanussi prend la tête de la Libye « réunifié » et devient « Idris Ier ».
Cependant, malgré l’abondante richesse des sous-sols Libyens, la population souffre d’une extrême pauvreté. La Libye est une économie de rente où inflation et tensions sociales sont de mises. À cela s’ajoute l’ingérence étrangère qui contraste avec le panarabisme ambiant, à l’instar du complexe Wheelus Field.
Galvanisé par le manque de partage des ressources du sous-sol, le « Mouvement des officiers unionistes libres » renverse Idris Ier le 1er septembre 1969. Alors jeune capitaine dans l’armée, Mouammar Kadhafi est aux commandes de cette rébellion et entame un règne de plus de 42 ans, sur fond d’un nationalisme arabe d’inspiration Nassérienne.
Le régime de Kadhafi est une « dictature faible » et ne contrôle pas tous les aspects de la société. Sur le plan économique, « le père de la révolution Libyenne » fait preuve d’un volontarisme économique. Il s’engage dans des projets de grande ampleur, développe l’ensemble du secteur industriel et finance des plans sociaux qui bénéficient indéniablement à la société libyenne. La Libye noyée dans des puits de pétrole s’enrichit sous Kadhafi. Sur le plan politique, Kadhafi développe une rhétorique anti-occidental et cultive un discours en faveur d’une unité arabe et africaine. En 2001, s’opère un bouleversement géopolitique majeur. Il comprend que pour lutter contre le terrorisme Islamisme qui gangrène sa société, il se doit de se rapprocher du monde occidental.
Les relations s’améliorent, l’embargo est levé et Kadhafi ne commet pas la même erreur que Saddam Hussein en renonçant à un programme nucléaire civile et chimique. La visite spectaculaire de Kadhafi à l’Elysée en 2007 et le discours de Nicolas Sarkozy à Benghazi sont des symboles de ce renouveau.
Par la suite la relation franco-libyenne entame une « coopération tous azimuts ». A la veille des révoltes, la France négociait un contrat de vente de rafales et de missiles de croisière. D’une manière générale, c’est le monde occidental qui tend la main à la Libye. Malgré ses efforts pour intégrer le concert des nations, Kadhafi a sans doute ignoré l’émergence d’une société civile en quête de liberté. La corruption du régime libyen n’a cessé de décrédibiliser le pouvoir. Les printemps arabes sonnent le glas de la dictature. La population se révolte à son tour et Kadhafi entame une répression inhumaine.
L’engrenage commence, Kadhafi ne parvient plus à maintenir, par la force, la stabilité de son pays. Le conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1973 qui prévoit une zone d’exclusion aérienne au dessus de la Libye et qui engage les pays signataires à protéger les populations et les zones civiles menacées par la guerre. Les pays signant cette résolution s’engagent aussi à respecter la souveraineté territoriale de la « Jamahirya arabe Libyenne ». Le « petit père du peuple Libyen » est pourtant assassiné le 20 octobre 2011 avec l’aide de la France et des Etats-Unis, bafouant par ailleurs la résolution onusienne, c’est le commencement d’un nouveau « chapitre long et douloureux » pour reprendre les mots de Barack Obama.
Au lendemain de la mort de Kadhafi, des élections démocratiques sont organisées le 7 juillet 2012. Les partis libéraux obtiennent la majorité des voix suivis des partis islamiques. De ces premières élections démocratiques naissent le CGN (Congrès Général National) installé à Tripoli.
Cependant les milices formées lors des révoltes populaires continuent de déstabiliser le pays et défendent leurs intérêts, c’est le cas notamment à Benghazi. Cet enchevêtrement des causes de conflit bloque les installations pétrolières, et fragilise l’économie Libyenne. Par la suite une « loi de bannissement politique » qui écarte les anciens soutiens de Kadhafi divise la classe politique. C’est dans ce contexte instable que de nouvelles élections ont lieu le 25 juin 2014. Ces élections ont pour conséquence de séparer la Libye en 2 entités distinctes à l’origine de la 2e guerre civile. En effet, les partis islamiques, grands perdants de ces élections, ne reconnaissent pas ce scrutin. Ainsi la chambre des représentants fuit à Toubrouk tandis que le CGN reste à Tripoli. Pendant ce temps, l’Etat islamique s’installe à Syrte.
En décembre 2015, les accords de Skhirats visent à unifier de nouveau la Libye en créant un gouvernement d’union national (GNA). Pourtant gage d’une amélioration de la situation politique, la chambre des représentants n’applique pas les termes de l’accord. A l’issu de cet accord, la division territoriale s’accentue davantage. En effet, Fayez Al Sarraj, 1er ministre du GNA reconnu par la communauté internationale s’oppose au Général Haftar, à la tête de l’ANL (« L’Armée nationale Libyenne »). Ce maréchal qui est tout sauf Jeffersonien, se considère comme légitime en raison de son rôle majeur dans la défaite de l’EI en Libye. Il possède la quasi totalité du territoire Libyen et la mainmise sur le croissant pétrolier.
« Tenter de comprendre la Libye en faisant l’économie de la réalité tribale qui y transcende la société est une entreprise impossible, tant cette dernière participe de la caractérisation du système politique libyen » (A.Dolamari). Composée de plus d’une centaine de tribus parmi lesquelles Arabes, Amazighs, Touaregs ou Toubous, la Libye voit son organisation largement conditionnée par l’influence tribale. Les tribus constituent historiquement l’un des piliers de l’organisation de la société libyenne, le nom de Libye provenant lui même de la tribu des Libu. Leur influence s’est consolidée sous Kadhafi qui, afin de pérenniser son régime, a longtemps composé avec ces forces non institutionnelles qui jouaient le rôle de relais du pouvoir central. L’ancien homme fort de la Libye insistait donc sur l’identité tribale, en nommant par exemple plusieurs représentants tribaux au sein de son gouvernement afin d’établir sa légitimité. Dans le même temps, le colonel a affirmé l’autorité du pouvoir central en favorisant les Khadafa, sa tribu d’origine.
Dès lors, grandies de leur influence croissante, les tribus ont pu joué un rôle primordial dès le début des soulèvements populaires de 2011. Tandis que les tribus se divisaient en fonction de leur allégeance ou non au Guide Suprême libyen, de vieux conflits tribaux ont refait surface à partir de février 2011. La chute du colonel Kadhafi signifie donc un retour aux particularismes tribaux et une redistribution des rôles entre les différentes tribus qui profitent de l’affaiblissement du pouvoir central. Mais cette soif de pouvoir accrue par la faillite de l’Etat donne naissance à une situation de bombe à retardement où les différentes tribus sont au bord de la rupture, propice à une multiplication des conflits provinciaux et à une désintégration d’un territoire déjà failli.
Cette fragmentation du paysage tribal est un facteur structurel de la guerre civile libyenne actuelle. En effet, les tribus alimentent la convoitise des acteurs au coeur de la situation libyenne. Les tribus de la Cyrénaïque soutiennent par exemple le maréchal Haftar en participant aux combats armés avec l’Armée Nationale Libyenne (ANL) face aux forces du GNA. Leurs membres seraient par ailleurs largement entrainés et armés par l’Egypte du général al-Sissi qui soutient activement Khalifa Haftar. Selon le chercheur Anas el-Gomati, ces tribus sont cependant « totalement » manipulées par le nouveau chef qu’elles soutiennent, et dirigées par de vieux hommes avides de pouvoir.
Ainsi, l’influence grandissante des tribus durant la précédente décennie est à l’origine de deux composantes entravant la résolution du conflit. D’une part, elles ont attiré les convoitises des différents acteurs présents sur le terrain qui s’en servent à des fins militaires. D’autre part, cette influence a participé de la mise en place en Libye de la loi tribale, entravant tout espoir de mettre en place un Etat fondé sur les principes de l’Etat de droit.
L’Egypte et les Emirats Arabes Unis : des soutiens incontestés du nouvel homme fort libyen…
Emmenée par al-Sissi, l’Egypte soutient le maréchal Haftar depuis 2014, date à laquelle elle a commencé à rassembler des forces à l’Est de la Libye. Voisin oriental du pays aux multiples tribus, l’Egypte est menacée par une possible extension du conflit à ses portes. En effet, la longue et poreuse frontière égypto-libyenne est une source de préoccupation majeure pour Le Caire qui voit en la personne du maréchal Haftar le seul homme capable d’assurer une frontière commune et stable.
Afin de préserver l’Egypte des répercussions que pourraient avoir la guerre civile libyenne sur le territoire égyptien, Le Caire use de différents moyens. Tout d’abord, plusieurs centaines de combattants islamistes ont été autorisés à passer en territoire libyen par cette frontière. Aussi, l’Egypte du général al-Sissi est à l’origine de nombreuses frappes aériennes au dessus de la Libye dans l’objectif de faciliter les poussées des forces du maréchal Haftar. Enfin, c’est en armant et en entrainant les tribus orientales qui soutiennent le maréchal que l’Egypte tente d’arriver à ses fins. Cependant, la position égyptienne s’est largement durcie ces derniers temps en réaction aux tours de force turcs en Libye. Les relations turco-égyptiennes qui ne sont pas au beau fixe depuis la destitution en 2013 du Président égyptien islamiste Mohammed Morsi, soutenu par Ankara, sont d’autant plus tendues qu’Erdogan soutient activement le GNA. Dès lors, la progression des forces militaires du gouvernement de Tripoli, avec l’aide de drones turcs, est vue d’un mauvais oeil par l’Egypte, qui a plusieurs fois menacé d’intervenir militairement.
Mohamed Ben Zayed (prince héritier et ministre de la défense d’Abu Dabi) s’est aussi engagé sans réserve aux cotés d’Haftar, qu’il considère comme le meilleur rempart face à l’influence des Frères Musulmans, et donc indirectement du Qatar et de la Turquie, en Libye. Dès août 2014, les EAU bombardent Tripoli à l’aide de leurs avions Mirage puis offrent plusieurs hélicoptères aux forces du maréchal. Aussi, Egypte et EAU collaborent activement puisque les derniers envoient des mercenaires aux forces de l’ANL par l’Egypte.
Mais face aux avancées du GNA soutenu par la Turquie, MBZ n’a eu d’autres solutions que de contribuer au blocage de la nomination de l’émissaire des ONU en Libye, l’ancien ministre des affaires étrangères Algérien, peu favorable à Haftar, ayant été pressenti pour le poste.
L’appui aérien russe à l’armée de Khalifa Haftar vient contrebalancer celui de la Turquie aux forces de Tripoli. A l’Ouest du Pays, Ankara, dans une logique néo-ottomane, fait carton plein. En soutenant militairement les forces du gouvernement de Tripoli reconnu par la communauté internationale, la Turquie s’implante progressivement en Libye, sans pour autant cacher ses intentions de s’accaparer des dépouilles d’une Libye fracturée. Ankara a déployé, au début de l’année 2020, plusieurs centaines de conseillers militaires, livré des cargaisons d’armes, d’équipement militaire, sans compter les milliers de combattants syriens. Ce soutien incontesté au GNA n’est pourtant pas sans conséquences pour le gouvernement de Tripoli. Après avoir suspendu, à l’automne 2019, son assistance au GNA, Ankara a conditionné celle-ci à la signature par Tripoli d’accords sur les droits maritimes et la sécurité. Ces accords prévoient de laisser à Ankara la mainmise sur la ZEE libyenne en Méditerranée orientale.
Celle-ci, riche de nombreux puits de pétrole, pourra être librement exploitée par Ankara, qui s’entête à empiéter sur la ZEE de ses voisins européens. Forte de ces accords, la Turquie a alors accentué son assistance au GNA à partir de janvier 2020. Cette intervention a totalement modifié les équilibres des forces et permis au GNA de faire reculer les forces de l’ANL jusqu’à la ville stratégique de Syrte. Ce soutien turc est motivé par trois ambitions stratégiques fondamentales : sauvegarder ses intérêts géopolitique en Méditerranée orientale comme en témoignent les accords entre Ankara et Tripoli, asseoir son influence au Maghreb et préserver ses intérêts économiques avec la Libye. Cependant, ce jeu n’est pas sans risque pour Erdogan qui risque de s’embourber dans cette région, alors même qu’il est déjà engagé dans plusieurs autres théâtres de confrontations (Méditerranée orientale, Syrie, Haut-Karabakh) et que la Turquie est en proie à des difficultés socio-économiques sans précédent sous sa présidence. En effet, la présence indirecte de la Russie en Libye pourrait bien compromettre les ambitions d’Ankara, les deux puissances se tenant mutuellement.
Dans la lignée de sa renaissance géopolitique entamée en Syrie dès 2015, la Russie de Vladimir Poutine s’est elle aussi activement engagée en Libye. Bien ancrée au Moyen-Orient par l’intermédiaire de son soutien à el-Assad, la Russie, par l’intermédiaire de la compagnie de milices privées russe Wagner s’est implantée en Libye dans l’objectif de conserver son influence dans la région et de profiter des éventuelles retombées économiques.
C’est à ces fins que Poutine a montré son soutien au maréchal Haftar avec l’envoi de chasseurs russes. Pourtant, il semble que Moscou se contente d’un conflit gelé comme en Syrie. En effet, si elle a largement eu les moyens de renverser le conflit en faveur des forces de l’ANL, la Russie a pour l’instant toujours fait en sorte de ne pas l’emporter complètement. Cela s’explique par la volonté de Moscou d’éterniser le conflit afin de maintenir un dialogue avec la Turquie pouvant mener progressivement à un partage du pays en zones d’influences afin, in fine, de profiter des dépouilles libyennes.
Dès lors, si l’accord en Libye sur un cessez-le-feu permanent semble pouvoir arranger la Russie, qui a choisi de soutenir l’initiative égyptienne de relance du processus de négociation, il apparaît au contraire comme nuisible à l’entreprise d’Ankara en Libye, puisque freinant les avancées des forces du GNA, comme en témoignent les déclarations d’Erdogan : « L’accord de cessez-le-feu de ce jour n’a pas été conclu au plus haut niveau mais à un niveau moindre (..) Pour moi, [cet accord] semble manquer de crédibilité ».
Après avoir été l’acteur majeur du renversement du colonel Kadhafi en 2011, la France fait désormais partie des principaux soutiens du maréchal Haftar, étant de facto en opposition avec d’autres pays de l’OTAN, comme les USA ou la Turquie, qui soutiennent, eux, le GNA reconnu par l’ONU. Pourtant, ce soutien aux les forces rebelles du maréchal Haftar demeure plus ou moins officieux. Il convient alors de comprendre ce positionnement ambigu de la France. Depuis la chute du Guide Suprême Libyen en 2011, la France s’efforce de rétablir en Libye un semblant de démocratie en soutenant la transition démocratique via la formation de cadres administratifs libyens à l’ENA. Mais le gouvernement Hollande, héritier de l’hasardeuse aventure libyenne de Nicolas Sarkozy, a adopté une posture particulièrement paradoxale. En effet, le ministre des affaires étrangères de l’époque, Laurent Fabius, soutenait le président Fayez Sarraj à la tête du gouvernement reconnu par la communauté internationale, tandis que Le Drian, alors Ministre de la Défense, s’engage auprès du maréchal Haftar.
Pourtant, la France s’est montrée très active dans la résolution du conflit libyen, notamment à travers son investissement, dans la transition démocratique. Mais si Macron a réussi en juillet 2017 à rassembler Sarraj et Haftar à Paris, cette initiative n’a été suivie d’aucun véritable résultat diplomatique. Il semble que ce soit bien la nomination de Le Drian comme Ministre des Affaires Etrangères en 2017 qui ait scellé la préférence française pour le maréchal Haftar. En effet, comme l’analyse Jalel Harchaoui, chercheur à l'Institut Clingendael à la Hague, c’est sous l’influence de ce ministre que s’est dessinée la politique libyenne de Paris. Ce choix de soutenir le Maréchal Haftar, alors même que Macron aurait rêvé de revêtir le costume du médiateur de ce conflit, est motivé par deux composantes principales : le soutien des EAU, qui constitue un partenaire idéal pour la France, au maréchal, la sécurité du Tchad, ancienne colonie française, ainsi que l’intolérance partagée de Le Drian et de l’Egypte à l’égard de l’islam politique. Aussi, certains analystes affirment qu’un accès privilégié aux gisements de pétrole de la Libye Orientale aurait motivé le choix de la France pour le maréchal. Enfin, des missiles anti-bunker avaient été secrètement introduits en Libye par la France, malgré l’embargo de l’ONU sur les armes.
Pourtant, ce soutien ne fut pas autant actif que celui des autres puissances engagées dans le conflit, à l’instar du soutien turc pour le GNA. En effet, Paris s’est par exemple opposé à l’offensive de l’ANL contre Tripoli. Or, en voulant conserver une position plus ou moins neutre, dans la mesure où la France n’a jamais officiellement reconnu avoir armé en sous-main les rebelles menés par Khalifa Haftar, Paris peine à devenir un acteur majeur de la troisième guerre civile libyenne, et ce au profit de la Turquie, qui parvient à s’imposer comme une des pièces maitresses du jeu et peut pratiquer « le chantage » aux migrants. Ceci alimente par ailleurs les tensions turco-françaises, la presse turque dépeignant Paris comme "un mauvais perdant » en Libye. En ce sens, l‘ingérence des puissances étrangères en Libye semble être à double tranchant, tant elle alimente des tensions qui ne sont pas intrinsèquement liées au conflit.
L’Europe peine à parler d’une même voix, et ceci n’est pas nouveau. Toutefois, c’est encore plus flagrant en ce qui concerne la Libye. En tête, l’Italie qui soutient le gouvernement de Tripoli, la diplomatie italienne faisant preuve d'activisme pour regagner son influence perdue et pour éviter une seconde Syrie, et Paris, qui affiche un soutien ambigu au maréchal Haftar. Pourtant, certains membres de l’UE ont tenté de jouer le rôle de négociateur, mais en vain. En effet, organisée par Angela Merkel et Ghassan Salamé, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye, la conférence de Berlin de janvier 2020 n’aura pas donné lieu à des résultats concrets. Onze chefs d’État et de gouvernement ainsi que les représentants de quatre institutions internationales dont l’ONU et l’Union européenne étaient présentes, tandis que les belligérants étaient aux abonnés absents. Elle avait pour principal objectif de savoir si le général Haftar signerait ou non à Berlin un cessez-le-feu, mais ne déboucha que sur un texte peu contraignant. Il semble que « l’Europe géopolitique » dont rêvait Ursula Von der Leyen soit encore loin..
Du côté des autres grandes puissances étrangères, l’indifférence règne. Cela est compréhensible pour des puissances comme le Brésil ou l’Inde qui n’ont encore que peu d’intérêt à s’engager dans un conflit au Moyen-Orient. Cependant, Pékin, qui n’a jamais déclaré soutenir un camp plutôt qu’un autre, aurait tout intérêt à s’engager indirectement afin de s’assurer de bonnes relations économiques avec Tripoli. En effet, la Chine reste le premier importateur de pétrole du monde et l’OPEP (dont fait partie la Libye) compte pour 56% de ces importations. Par ailleurs, il est essentiel de souligner que Pékin place petit à petit ses pions dans la reconstruction syrienne et est devenu le premier partenaire économique d’un grand nombre de pays africains. Néanmoins, la position « anti-ingérence étrangère » que défend inlassablement Pékin -notamment vis à vis d’Hong-Kong- peut expliquer son indifférence pour le conflit. C’est pourquoi Pékin se contente d’exprimer au Conseil de Sécurité de l’ONU la nécessité de trouver un processus de paix durable en Libye.
Enfin, l’ONU apparaît, comme à son habitude, impuissante en ce qui concerne la résolution du conflit. Mis en place par l’ONU en 2011, l’embargo sur les armes imposé à la Libye peine à se faire respecter. En effet, le 2 septembre 2020, émissaire des Nations Unies en Libye, Stephanie Williams a déploré les violations de cet embargo, notamment par la compagnie Wagner, devant le Conseil de Sécurité. Toutefois, il convient de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain : l’accord en Libye sur un cessez-le-feu permanent fut signé en Octobre après cinq jours de discussions à Genève sous l’égide de l’ONU.
L’enlisement Libyen ne peut être dissocié de la fragmentation de l’espace Sahélien et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, si la question Touaregs demeure un facteur conjoncturel du chaos maliens, il n’en est pas moins clé. En effet, le conflit Libyen a profondément déstabilisé le nord du Mali et le nord du Niger. A la chute de Khadafi, les combattants Touaregs, qui soutenaient fermement le régime Libyen, sont retournés dans leur pays respectif, armés jusqu’aux dents. La guerre au Mali n’a-t-elle pas commencée par des révoltes Touaregs ? Ensuite, le chaos libyen a mené à une radicalisation islamique sur fond de prolifération d’armes massives. Face au vide sécuritaire, les groupes Islamiques agissent comme des Etats providences de substitution, ils permettent la restauration d’un ordre politique basé sur l’application de la charia, aussi barbare soit-il. De plus, la mort de Kadhafi marque aussi la fin de sa politique ambitieuse à l’égard de l’Afrique. « Le chef des tribus » a été à l’origine de nombreuses initiatives, plus ou moins succinctes. De sa politique panarabe à la création de l’UA en 2002 en passant par la création de la communauté des Etats sahélo-sahariens, Kadhafi a tenté d’unifier le monde arabe et le monde africain. Kadhafi est assassiné et enterre avec lui son idéologie transnationale. Enfin, la région entière constate l’écume de cette guerre : une crise humanitaire sans précédent qui fragilise une zone déjà familière des famines à répétition...
La Libye est sans nul doute la conséquence d’une politique court-termiste qui ignore les complexités de l’Afrique et du Moyen-Orient. L’intervention Libyenne est un désastre géopolitique symbole d’une ignorance occidentale profonde. Il serait surement temps de cesser d’ignorer la porosité des frontières africaines ainsi que leur pertinence.
La situation actuelle Libyenne sonne comme un air de déjà vu, les partis peinent à mettre en place un exécutif pour assurer une transition vers de nouvelles élections en décembre 2021. Pourvu que l’histoire ne soit pas, une nouvelle fois, cyclique.
Armand HINTZY
Valentin LAURENT
Au cœur de la Libye de Kadhafi, Patrick HAIMZADEH
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Économie_de_la_Libye
https://www.herodote.net/1er_septembre_1969-evenement-19690901.php
https://books.openedition.org/editionscnrs/22854?lang=fr https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2012-4-page-835.htm?contenu=resume http://www.slateafrique.com/84477/coup-d-etat-mali-la-menace-qui-est-venue-de-tripoli
https://www.youtube.com/watch?v=rQhPY79xoRI https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/le-jeu-trouble-de-la-france-en-libye-0
http://vision-internationale.com/la-libye-un-etat-failli/
http://www.ism-france.org/analyses/La-composition-ethnique-des-tribus-libyennes-article-16702
https://www.jeuneafrique.com/1029315/politique/libye-que-cache-la-montee-en-puissance-des-tribus/