Retour sur la vie politique israélienne instable depuis déjà 4 ans, et qui s’envenime depuis quelques mois.
Depuis déjà plus de 10 semaines maintenant, de nombreux Israéliens manifestent et se mobilisent afin de protester contre le projet de réforme du système judicaire, voulu par le gouvernement actuel de coalition droite-extrême droite de Benyamin Netanyahou (la plus à droite de l’histoire de l’État hébreu). Ce samedi 11 mars 2023, les rassemblements ont battu des records d’affluence dans toutes les villes du pays, aussi bien dans le centre de Tel Aviv, principal lieu de rassemblement, où les manifestants étaient au nombre de 100 000, que dans les villes d’Haïfa (au Nord) ou de Beersheba (au Sud), avec respectivement 50 000 et 10 000 personnes. Alors, ces contestations, contre cet ensemble de lois, considérées comme antidémocratiques par les protestataires, peuvent-elles ébranler la vie politique Israélienne ? Pourquoi un tel projet de réforme a-t-il été élaboré par le gouvernement actuel et quelles en seraient les conséquences ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre et de décrypter dans cet article.
Tout d’abord, revenons sur la situation politique en Israël. Début novembre 2022, des élections législatives y ont été organisées afin de mettre fin à l’instabilité politique qui règne dans le pays depuis 4 ans, après 5 scrutins législatifs successifs. En 2019, les Israéliens se sont rendus aux urnes deux fois puisqu’aucun gouvernement n’avait réussi à être formé. Le pouvoir est donc revenu à la Knesset (parlement de l’État d’Israël, siégeant à Jérusalem), au sein de laquelle tout député devait alors recueillir 61 signatures pour former un gouvernement. À défaut d’une telle majorité, la Knesset a été automatiquement dissoute. De nouvelles élections ont eu lieu en mars 2020 puis en 2021, mais le pays est entré dans une longue période de vacance du pouvoir, avec la mise en place d’un « gouvernement de transition », qui disposait de l’intégralité de ses compétences mais gérait seulement les affaires courantes.
L’enjeu des élections de 2022 était donc crucial, afin de rétablir un équilibre politique en Israël, et de faire face à la crise de confiance dans les institutions et à celle de la représentation parlementaire qui régnait dans le pays. Lors de ces élections, le parti de droite de Benyamin Netanyahou, le Likoud, est arrivé en tête avec 32 sièges sur les 120 de la Knesset. S’associer avec les partis religieux représentait la clé pour former son gouvernement, comme par exemple le Parti Sioniste Religieux, qui est sorti particulièrement renforcé de ces élections, passant de 6 à 14 sièges à la Knesset. Ainsi, avec 65 sièges parlementaires dans sa coalition, Benyamin Netanyahou est sorti grand vainqueur de ces élections, et a été chargé de former un gouvernement par le président Isaac Herzog, devenant ainsi Premier Ministre d’Israël. Celui que l’on croyait chassé du pouvoir a donc fait son retour en force en Israël.
Néanmoins, à peine mis en place, ce gouvernement est déjà au centre des contestations d’une partie de la population Israélienne. En effet, le ministre de la Justice Yariv Levin a annoncé début janvier 2023 la volonté de réformer le système judicaire. Elle intervient alors que le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, est inculpé dans trois affaires criminelles. Son ministre de la Justice, Yariv Levin, a reconnu publiquement l’existence d’un lien entre le procès de Benyamin Netanyahou et le projet de loi.
Il prévoit notamment une clause dérogatoire qui donne la possibilité au Parlement d’annuler certaines décisions de la Cour Suprême à la majorité, soit 61 voix nécessaires sur 120. Elle permet donc de contourner le contrôle de la plus haute juridiction israélienne. Cette clause dérogatoire a été adoptée au Parlement en première lecture ce mardi 14 mars, un peu avant trois heures du matin, heure locale, avec 61 voix contre 52. Cependant, elle doit encore être votée en deuxième et troisième lectures avant de devenir une loi. Ce projet donnerait le pouvoir à la coalition politique majoritaire du pays de nommer des juges, des magistrats mais aussi de se doter d’un droit de veto contre les décisions de la Cour Suprême, ce qui limiterait considérablement les prérogatives de cette institution démocratique centrale. Il mettrait donc fin à l’équilibre des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire dans le pays, le gouvernement deviendrait alors tout puissant. Le gouvernement affirme que cette réforme est nécessaire car il juge la Cour Suprême politisée et veut donc rétablir un rapport de force équilibré entre les élus parlementaires et une justice « indépendante » et non « omnipotente », selon les mots de Benyamin Netanyahou lui-même.
C’est donc principalement cette clause dérogatoire qui est au centre des protestations depuis janvier 2023, mobilisant chaque semaine des milliers de manifestants dans chaque recoin du pays. Ce mouvement ne s’essouffle pas ; au contraire, il prend de plus en plus d’ampleur, et ce « mouvement de niche » est rapidement devenu un « mouvement de masse ». On observe, par ailleurs, une radicalisation progressive de ce mouvement. Au départ, la mobilisation concernait principalement des personnes issues de la bourgeoisie laïque et de l’élite intellectuelle libérale et progressiste. Aujourd’hui, ce mouvement est devenu beaucoup plus transversal, rassemblant des sionistes religieux et orthodoxes à Tel-Aviv, Jérusalem et dans d’autres grandes villes du pays, et transcendant aussi le clivage droite-gauche dans le pays. Les militaires se sont aussi ralliés récemment au mouvement de contestation avec la participation active de dizaines de milliers de réservistes de l’armée israélienne, mais surtout d’anciens chefs de l’état-major de Tsahal et d’anciens commandants en chef de prestigieux bataillons de combat et d’unités spéciales. Les militaires se posent donc en « défenseurs de la démocratie », mais leur implication pose la question de la « politisation de l’armée ».
Ainsi, alors même que les contestations battent leur plein et s’amplifient, le projet de loi continue de tracer son chemin à la Knesset et pourrait bien se concrétiser en tant que loi. Ce projet antidémocratique serait alors voté de manière démocratique et pourrait bien chambouler la vie politique israélienne. Ces répercussions pourraient être internationales, faisant de nouveau la part belle au populisme aux dépens de la démocratie. Quoi qu’il en soit, Israël n’est pas près de sortir de son instabilité politique… Démocratie ou autocratie : telle est la question…
Article rédigé par Diane BRIQUET
Sources :