En Chine, au cœur de la province du Xinjiang, la minorité éthnique des Ouïghours subit depuis des années une répression violente de la part du gouvernement central chinois. Les récentes révélations, les témoignages sortis dans la presse mondiale, les rapports d’experts, ont contribué à ramener sur le devant de la scène ce sujet embarrassant pour la Chine qui nie en bloc les accusations dont elle est l’objet.
Cependant, la “communauté internationale”, que ce soit les pays, les organisations régionales, les firmes transnationales ou encore les ONG, ne sont pas dupes et semblent prendre conscience progressivement du problème jusqu’à plaider pour la mise en place de sanctions à l’encontre de la Chine. De son côté, l’Empire du Milieu n’hésite pas à se défendre en critiquant des ingérences étrangères dans ses affaires internes.
Mais une nouvelle donne semble se dessiner : l’Union Européenne et les Etats-Unis ont décidé de faire front et de sanctionner le régime chinois pour ses exactions. N’est-ce qu’un coup d’épée dans l’eau ou ces initiatives sont-elles capables d’entraîner et de fédérer ? Les réponses de Pékin vont-elles freiner les sanctions internationales contre son régime ?
Les Ouïghours, une des 56 ethnies composant la République Populaire de Chine dominée par les Hans (92% de la population), sont une minorité turcophone de religion musulmane qui s’est installée dans la région d’Asie centrale il y a plus d’un millénaire. Cependant, les 11 millions d’habitants Ouïghours du Xinjiang sont très éloignés culturellement des Hans et beaucoup plus proches des populations vivant au Kazakhstan ou encore au Kirghizistan. D’ailleurs, les Ouïghours appellent leur pays le Turkestan oriental, qui contient des minorités kazakhs et kirghizes, elles aussi victimes de répression.
En effet, c’est ce fossé identitaire qui est à la matrice des exactions du gouvernement central chinois et ce notamment durant la révolution culturelle de Mao Zedong durant laquelle les politiques d’assimilation des minorités étaient dures : les Ouïghours étaient notamment forcés à manger du porc pour oublier leur culture traditionnelle. Mais malgré la période d’apaisement après la mort de Mao, la répression reprend fortement à l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, désireux de mener une Chine forte, unie derrière l’identité chinoise, ce qui contraste avec l’exception culturelle ouïghoure.
Officiellement, la Chine dit lutter contre le terrorisme islamique et la radicalisation sur son sol depuis 2000. Les attentats qui ont frappé le pays depuis 2013 n’aident pas l’opinion publique à voir clair dans le jeu du gouvernement central qui veut éradiquer la culture ouighoure, non conforme à ses principes de Chine Unique et exemplaire, et destinée à redevenir une puissance dominante dans les prochaines années avec son projet des “Nouvelles routes de la soie”, qui doit passer par le Xinjiang. La Chine a très longtemps profité de l’efficacité de son filtre d’information à ce sujet et cela lui a permis de jouir d’une certaine impunité tout ce temps. Néanmoins, la situation n’est pas au beau fixe.
Durant l’été 2020, les Etats-Unis font figure de pionnier car sont les premiers à avoir implémenté des sanctions à l’encontre du régime chinois. Concrètement, Washington a placé 11 entreprises chinoises qui participaient à la répression ouïghoure sur une liste noire, limitant alors leur accès aux technologies américaines. De leur côté, les pays européens, et particulièrement la France, ne font que condamner verbalement ces atteintes aux droits de l’Homme. Dans le même temps, les acteurs non étatiques se mobilisent sur le sujet et l’ONG Human Rights Watch en collaboration avec 180 autres ONG de 36 pays différents, dénoncent de grandes marques textiles et leurs sous-traitants dans la région du Xinjiang. Parmi celles-ci, on retrouve notamment Adidas, Gap, Tommy Hilfiger ou encore Lacoste.
Mais avec les revendications répétées de personnalités comme Raphaël Glucksmann ou Omar Sy, avec une mobilisation croissante sur les réseaux sociaux, l’UE a transformé les menaces orales en mesures concrètes au début du mois de mars 2021. Les sanctions mises en place visent notamment 4 dirigeants actuels ou passés de la région du Xinjiang, et ayant joué un rôle dans la répression des Ouïghours. A la suite de ces annonces, les Etats-Unis et le Canada n’ont pas hésité à emboîter le pas en visant des entreprises et des dirigeants chinois. Mais la Chine n’entend pas se laisser faire, continue de nier en bloc, et en profite même pour contre-attaquer.
La Chine est en effet bien décidée à engager le bras fer contre ceux qui se dressent sur son chemin, en commençant par les Etats-Unis, le Canada et l’UE. En réponse aux mesures de l’UE, Pékin a sanctionné 10 dirigeants européens, dont 5 élus du Parlement Européen parmi lesquels figure Raphaël Glucksmann. Ils sont accusés de “propager des mensonges” en s’appuyant sur des études et des rapports que la Chine considère comme fallacieux. Les Européens et leur famille sont interdits de séjour en Chine continentale, à Hong Kong et à Macao.
De plus, Pékin a convoqué l'ambassadrice de Grande-Bretagne ainsi que l'ambassadeur de l'UE en Chine, afin de "condamner dans les termes les plus vifs" des sanctions européennes "fondées sur des mensonges et de fausses informations".
Dans la même logique contestataire, l'ambassadeur de Chine à Paris ne s'est pas rendu à une convocation de la diplomatie française qui avait dénoncé ses attaques contre des parlementaires et un chercheur français. Il s'y est finalement rendu après des protestations de Paris, qui lui a fait part de ses "griefs".
Pékin est de plus en plus épinglé dans ce dossier qui fragilise ses revendications de puissance sur la scène internationale. Son désir de forger une Chine unie et exemplaire semble avoir des répercussions sur son image dans le monde. L’idéologie qui était censée faire sa force, est aujourd’hui peut-être à la matrice de sa perte. La Chine faisait déjà peur par ses velléités de puissance et l'exportation de son modèle si éloigné des régimes occidentaux. Et avec ces affaires, elle légitime encore plus les craintes qui l'entourent. Comment rayonner et devenir la puissance de demain en niant les droits de l’Homme ?
La Chine a atteint un point de non retour qui fragilise ses positions sur la scène internationale tant les craintes diverses et variées se multiplient. Les idéaux chinois ne rassemblent pas comme ceux des Etats-Unis ont pu le faire par le passé, légitimant leur primauté. Il semble aussi assez surprenant que les Etats-Unis ne rechignent pas à sanctionner le gouvernement chinois alors qu’ils ne sont pas aussi réactif dans le dossier syrien. On comprend que la propension américaine à sanctionner la Chine n’est pas seulement affaire de droits de l’Homme mais aussi affaire de combat idéologique entre Pékin et Washington.
On peut aussi voir que l’UE n’hésite plus à engager des sanctions pour faire valoir ses valeurs : peut-être est-ce l'avènement de la tant attendue puissance normative à l’européenne comme le définissaient Ian Manners et Zaki Laïdi.
Guillaume Thouvenot
Sources:
https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/ouighours-l-ue-sanctionne-la-chine-qui-replique_4343127.html