14 Nov
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Le succès des printemps arabes reposait entièrement sur la capacité des forces démocratiques à s’organiser et à s’imposer, mais les enjeux géopolitiques et la vision à court terme des acteurs régionaux et internationaux ont eu raison des souhaits populaires.


Le 17 décembre 2010, Mohammed Bouazizi, jeune vendeur de rue tout récemment dépossédé de son moyen de travail par le gouvernement, s’immole par le feu face à ce qu’il dénonce être une injustice politique et économique. Cet évènement marque le début d’une forte contestation populaire dans les pays du Maghreb, du Croissant Fertile et de la Péninsule Arabique, région dominée par des régimes autoritaires incompétents et népotiques. Comme le relèvent assez justement Michaël Béchir Ayari et Vincent Geisser, ces mouvements « relèvent d’une logique émeutière et, en conséquence, n’ont pas été conduits au sens strict par un chef, une idéologie ou une organisation politique » : il s’agit avant tout d’un ras-le-bol spontané de la société. C’est pour cela que les printemps arabes semblent dans un premier temps être un changement facile, court et presque sans bains de sang, à l’image de la destitution rapide de Ben Ali et Moubarak. Si bien que certains analystes y voient d’abord une dynamique inaltérable en direction de la démocratie.


Mais l’euphorie laisse vite place au désenchantement : les spécialistes jugent maintenant qu’aux printemps arabes succède un « hiver arabe », exception faite de la Tunisie. En effet, de part et d’autre de cette région, les mouvements démocratiques se sont essoufflés et les peuples sont déçus : guerre civile en Libye, au Yémen et en Syrie, retour et maintien de l’autoritarisme en Egypte et en Algérie ou absence de changements en Jordanie et au Maroc. Certains avancent que c’est parce que les révolutions fonctionnent par vagues, comme ce fut le cas en France ; mais ce n’est pas la norme : les printemps d’Europe de l’Est à la fin des années 80 se sont par exemple déroulés d’une seule traite. S’il y a interruption dans le processus c’est plutôt « que l’ancien temps meurt et que le nouveau ne peut naître de cet inter-règne ». Et la volonté des peuples n’y suffit pas : il faut que le climat et les rapports de force y soient favorables. Alors, qui a entravé les printemps arabes ?


Des printemps arabes à géométrie variable


D’abord, certains régimes ne tombent pas face aux volontés populaires. Dans les royaumes de Jordanie et du Maroc, les révolutionnaires s’arrêtent - physiquement et symboliquement - aux portes des palais royaux. La Syrie et le Bahreïn sont soutenus, le premier par l’Iran qui vise à conserver son allié chiite et le second par l’Arabie Saoudite. Enfin, certains régimes coupent l’herbe sous le pied des révolutionnaires en supprimant les causes du mécontentement à coup de subventions, à l’image de l’Arabie Saoudite et de l’Algérie.


À l’opposé de cette condition, les mouvements populaires ont conduit jusqu’à la destitution du chef de l’Etat et du régime en Libye, Egypte, Tunisie et Yémen. Mais aujourd’hui les forces démocratiques sont loin d’être les premiers de cordées de la transition. En effet, le particularisme des révolution arabes tient dans la « lutte triangulaire » que se livrent – schématiquement - démocrates prorévolutionnaires, islamistes et militaires. Mais cette situation devient rapidement une « lutte binaire » entre les forces contre-révolutionnaires que sont les islamistes et les militaires, d’où l’échec des printemps arabes dans ces pays-là.


Des forces démocrates qui ne se trouvent ni ne sont soutenues


Si les révoltes se font bien sur une base populaire et sur un désir de démocratie, le manque d’organisation de ces mouvements les exclut de la scène politique post-révolution. Les deux forces organisées qui incarnent normalement ce rôle sont les syndicats et les forces de gauche. Toutefois, les premiers étaient interdits sous les régimes précédents et les second ont fortement été ébranlés par la chute de l’URSS et par la lutte interne qui les opposait à l’intégrisme islamique instrumentalisé. Partant, l’opposition démocrate ne peut absolument pas s’imposer : ce n’est pas une coïncidence si la Tunisie, la seule Révolution qui a abouti à de vraies avancées démocratiques, est l’unique pays qui possédait ces forces.


Toutefois ces facteurs endogènes ne suffisent pas à expliquer cette atonie des potentielles forces démocratiques : contrairement à leurs opposants, elles n’étaient soutenues politiquement et économiquement par personne. Le G8 était pourtant bien parti dans ce sens en proposant à Deauville en 2011 un véritable « plan Marshall » pour aider politiquement et économiquement les pays s’engageant sur la « voie de la transition démocratique ». Il s’agissait d’abord de légitimer les mouvements démocratiques afin qu’ils s’imposent, puis de leur fournir la stabilité ; sans quoi il est impossible de capitaliser sur les avancées déjà faites. Mais le plan est resté lettre morte. L’Occident aurait pu être le levier du basculement définitif vers le « nouveau monde », le seul possible d’ailleurs. Comment le gouvernement élu démocratiquement de Morsi peut-il accepter un prêt de 5 milliards de dollar du FMI dont il a terriblement besoin quand c’est au prix de la fin des subventions des produits de première nécessité ? L’accepter aurait été un suicide politique, mais son refus a poussé un peu plus son pays dans le marasme économique et dans l’incapacité militaire face à l’Etat Islamique. Ce qui a entraîné le mécontentement populaire et l’envie de stabilité ; d’où l’arrivée de l’armée par Al-Sissi comme sauveur : retour à case autoritarisme.


Ainsi, abandonnées de tous, les forces démocratiques ne peuvent s’imposer dans le jeu politique, ni même compter sur leurs propres forces. En effet, chez ses partisans les moins-absolutistes – la majorité – le besoin de sécurité et les nécessités économiques prennent le pas à court terme sur les volontés de liberté.


Des forces contre-révolutionnaires structurées et légitimées par l’enjeu sécuritaire


Les réseaux islamistes sont les principales organisations contre-révolutionnaires qui s’imposent car elles sont des éléments clés dans les stratégies régionales du Qatar, de l’Arabie Saoudite et de l’Iran. Tout d’abord, le petit émirat voit le vide laissé par les printemps arabes comme le tremplin de sa puissance sur le plan régional : il soutient à crédits quasi illimités les Frères Musulmans, et le succès est rapide en Egypte, Tunisie et Syrie. Le royaume des Saoud, se voyant damer le pion, entreprend de soutenir de la même manière les salafistes, plus extrêmes que les Frères Musulmans. De cette lutte d’influence entre sunnites, le Qatar ne sort pas vainqueur, mais ses forces ont pu s’imposer sur le terrain. À ce conflit entre sunnites, s’ajoute une rivalité instrumentalisée avec le chiisme que représente l’Iran, qui se mobilise tous azimuts pour soutenir son allié Bachar Al-Assad, empêchant la rébellion de faire tomber le régime. Ainsi, ne peut-on que constater l’« effet domino contre-révolutionnaire impulsé par les Etats autoritaire » depuis 2011.


Julien Gasc


Les militaires ont un rôle souvent secondaire, mais tout aussi nécessaire dans la retombée des printemps arabes. Leur structure et leur organisation leur permet d’agir rapidement et d’incarner la stabilité face aux menaces (Haftar en Libye ou Al-Sissi pour protéger son peuple de l’Etat Islamique et rassurer l’Occident) et la stabilité temporelle (Syrie où elle complète l’appui iranien en restant fidèle au régime).

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