13 Oct
13Oct

     Ce jeudi 30 septembre, Jean Castex annonçait la mise en place d’un « bouclier tarifaire » pour limiter la hausse du prix de l’électricité à 4% et faire face à l’explosion des prix du gaz en France et en Europe.
En effet, quelques jours plus tard, le prix du gaz naturel atteignait un niveau historiquement haut sur le cours européen de référence, le TTF néerlandais, en dépassant le pallier des 160€, soit un prix multiplié par 2 depuis le début du mois de septembre. 

     Cette flambée des prix s’explique d’abord par une augmentation importante de la demande à l’approche de l’hiver, notamment sur les marchés asiatiques, accompagnée d’une forte diminution de l’offre de gaz vers l’Europe: fin septembre, les livraisons via le pipeline Yamal- Europe, qui alimente l’Europe de l’Est, ont été divisées par 2. 

     Cependant, certains pays pointent aussi la Russie du doigt, et l’accusent de ne pas fournir suffisamment de gaz, afin de mettre la pression sur ses partenaires européens et d’accélérer la mise en place de son nouveau gazoduc, Nord Stream 2. En effet, Vladimir Poutine tente désormais d’imposer ses conditions pour calmer le marché, en insinuant que le seul moyen de stopper la pénurie serait d’approuver son projet controversé de NordStream 2.

Qu’est ce que NordStream 2 ? 

     Nord Stream 2 est un gazoduc construit par le fleuron énergétique russe Gazprom, et qui a pour objectif de doubler le rendement du Nord Stream, gazoduc existant qui rejoint la Russie à l’Allemagne. Ce projet, estimé à environ 10 milliards de dollars, rencontre de nombreuses objections en Europe, notamment de la part de l’Ukraine, consciente que son utilisation entrainerait une diminution du transit du gaz russe par son territoire, et la priverait d’une manne financière de 7 milliards de dollars par an. Aux Etats-Unis, si Donald Trump s’est farouchement opposé au projet, l’élection de Joe Biden à la Maison Blanche a rebattu les cartes, et les Etats- Unis ont signé un accord avec les Allemands, évidemment favorables au lancement du gazoduc.

En quoi cette crise reflète t-elle la faiblesse de la politique énergétique de l’UE ?

     En 2007, l’UE importait respectivement 82% et 57% de ses besoins en pétrole et en gaz, ce qui en faisait le premier importateur de ces sources d’énergie. En réaction, la ratification du Traité de Lisbonne a fait de la solidarité en matière d’approvisionnement en énergie une priorité cruciale de l’UE. En outre, depuis 2015, la Commission Européenne pilote la « Energy Union Strategy », dont l’objectif principal est de diversifier les sources d’approvisionnement énergétique. Pourtant, dans les faits, l’UE reste particulièrement dépendante de ses voisins.                              

     Ainsi, en 2020 les importations représentaient encore environ 60% de la consommation de gaz en Europe, et provenaient à 40% de la Russie, suivie de la Norvège (18%) et de l’Algérie (11%).

     Par ailleurs, d’après les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (IEA), la demande européenne devrait certes baisser d’ici 2025, mais la production diminuera de moitié, ce qui impliquera donc une hausse des importations de gaz, dont la Russie devrait profiter.  

     Ce manque de diversité rend les états européens plus exposés à un risque de rupture d’approvisionnement énergétique, surtout si la Russie tentait de faire pression sur les états membres, comme c’est le cas actuellement avec le chantage exercé par Poutine pour faire accepter le projet de Nord Stream 2.                     

     Enfin, chaque pays membre est aujourd'hui responsable de sa propre politique d’approvisionnement énergétique, si bien qu’il n’existe a pas de réponse commune possible face à une crise comme celle que traverse actuellement l'Union. L’UE apparait donc désunie, comme souvent, face à un « partenaire » qui n’attend que de diviser pour mieux régner, même si les tensions avec la Russie redonnent de la voix aux partisans d’une politique énergétique européenne commune.     

Quelles solutions pour sortir de la dépendance ? 

     Face à cette situation, — qui, faut-il le rappeler, est plus une situation d’interdépendance entre le producteur russe et son client le plus fidèle, qu’une simple relation de dépendance dont la Russie serait la maitresse — l’UE tente de mettre en avant différentes solutions pour diversifier au maximum ses sources d’approvisionnement, et assurer sa sécurité énergétique.                              

     Cette stratégie repose avant tout sur développement de nouvelles infrastructures venant concurrencer les projets russes, comme le Eastern Mediterranean Natural Gas Pipeline, qui devrait permettre de rejoindre à l’horizon 2025-2027 les gisements de Leviathan et d’Aphrodite au Sud de Chypre à la Grèce et l’Italie. Il s’ajoutera à des gazoducs déjà existants ou encore en cours de construction, comme le Poseidon Pipeline qui rejoindra la Grèce et l’Italie, et le projet d’interconnexion entre le Grèce et la Bulgarie (IGB). D’une longueur de 1900 km, et d’un débit de 10 milliards de m3/an, il permettra d’approvisionner le sud et l’Est de l’Europe, venant ainsi concurrencer les infrastructures russes et offrir une nouvelle source d’approvisionnement aux membres de l’UE.                              

     Le projet a été labellisé « projet d’intérêt commun* » par la commission Européenne, qui a contribué au développement du projet à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros. Il a bien sûr été soutenu par les Etats-Unis, qui poussent les Européens à diversifier leurs sources d’approvisionnement et sortir de la dépendance énergétique vis à vis de la Russie.

     Une autre solution/source de diversification est le recours au Gaz Naturel Liquéfié, plus propre que le charbon et le pétrole. L’UE a donc choisi de se tourner vers les Etats-Unis, qui ont vu leurs exportations augmenter de 272% entre juillet 2018 et mai 2019 pour atteindre 12,6% des importations totales de GNL de l’UE. Cependant, la Russie demeure le principal fournisseur de l’UE, et l’utilisation du GNL est encore marginale par rapport au gaz naturel. Enfin, le GNL reste une énergie fossile, dont l’utilisation engendre une production de méthane importante.                              

     En tant que grande puissance normative, l’UE a aussi mis en place de nouvelles mesures comme le règlement 2017/1938 qui a été voté pour protéger les Etats membres d’une éventuelle pénurie et garantir ainsi la continuité de l’approvisionnement de tous les pays. La Commission a aussi conclu que les divergences nationales quant à la réponse à apporter face à une rupture totale ou partielle des approvisionnements en gaz en provenance de la Russie ne permettraient pas de sortir de la crise, du fait de leur champ d’application limité. A l’inverse, une approche plus conjointe entre les États membres pourrait considérablement réduire les effets de scénarios de perturbation majeure pour les plus vulnérables.                              

     Un exemple de coopération et de réponse groupée est la mise en place d’un mécanisme de solidarité dans le cas ou l’un des états membres serait en situation d’urgence. Les autres états membres qui le peuvent auraient alors l’obligation, en échange d’une indemnité équitable, de réduire leur approvisionnement vers les pays tiers non membres de l’UE jusque’à ce que la situation de l’état demandeur ne soit rétablie, assurant ainsi une certaine continuité dans l’approvisionnement énergétique de tous les états membres.


     Finalement, cette crise internationale, dont l’impact s’est rapidement fait ressentir au sein de la plupart des foyers européens, met en avant la vulnérabilité de l’UE face à la puissance énergétique de son voisin russe. Les normes mises en place par la Commission Européennes paraissent, encore une fois, bien dérisoires dans la lutte contre la politique étrangère agressive de la Russie. L’accélération de la diversification des sources d’approvisionnement énergétique est plus que jamais la solution de l’autonomie européenne.                         

     L’exploitation plus poussée de l’énergie nucléaire pourrait par exemple représenter une nouvelle source majeure d’énergie pour l’UE. Mais la encore, les états membres semblent particulièrement divisés...


 Timothée Soenen 

* Les projets d’intérêt commun sont des projets identifiés par la commission européenne comme étant une priorité pour interconnecter les différentes infrastructures qui assurent l’approvisionnement de l’Union en énergie                                                                         

Sources :                                                        

https://en.wikipedia.org/wiki/EastMed_pipeline

https://en.wikipedia.org/wiki/Projects_of_Common_Interest

https://www.liberation.fr/economie/prix-du-gaz-les-marches-europeens-explosent-les-compteurs-20211006_GBEGQPKWG5BI5JQI3U3OR3SBPE/

https://korii.slate.fr/biz/poutine-propose-baisser-prix-du-gaz-mais-selon-ses-conditions

https://www.liberation.fr/planete/2020/09/09/nord-stream-2-un-projet-gazier-plus-diplomatique- que-necessaire-economiquement_1798954/

https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.phptitle=Energy_production_and_imports/fr&oldid=508681#Les_importations_couvrent_plus_de_la_moiti.C3.A9_des_besoins_en_.C3.A9ner gie_de_l.E2.80.99UE

https://www.touteleurope.eu/environnement/la-dependance-energetique-europeenne/ 

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/? uri=CELEX:32017R1938&from=FR#d1e2114-1-1

https://www.capital.fr/entreprises-marches/les-importations-de-gnl-americain-dans-lue-en-hausse-de-272-depuis-juillet-1337000               

« Le Temps », journal d’information suisse, édition du 7 octobre 2021 

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