Retour sur la situation politique au Pérou depuis 2021 et les manifestations actuelles qui ont plongé le pays dans une extrême brutalité et un état de crise politique profonde.
Depuis décembre 2022, le Pérou est marqué par une crise politique, dont l’ampleur et la gravité augmentent au fil des jours. Cette crise a causé une forte instabilité dans le pays, remettant notamment en cause la fiabilité de ses institutions politiques, pour finalement laisser place à des contestations de la part de la société, qui réclament une plus grande transparence, notamment concernant son système politique. Retour donc sur les manifestations qui frappent le pays, leurs origines et leurs potentielles conséquences pour la société péruvienne.
Au cours de l’année 2021, le Pérou a connu des élections présidentielles, afin que le peuple choisisse le successeur de Francisco Sagasti, entré en fonction en novembre 2020 après que Martín Vizcarra ait été destitué ce même mois, ayant été accusé de corruption. Il était donc chargé d'assurer un gouvernement de transition jusqu’en juillet 2021, date à laquelle devait s’achever le mandat de l’ancien président Martín Vizcarra, et de mettre en œuvre des élections démocratiques. Ces élections ont vu s’opposer majoritairement 2 candidats : Pedro Castillo, soutenu par le parti de gauche radicale et d’obédience marxiste-léniniste Perú libre, et Keiko Fujimori, fille de l’ex-président autoritaire Alberto Fujimori (président de 1990 à 2000) et fondatrice du parti libéral conservateur Force populaire. Ces élections ont révélé la profonde crise du système politique péruvien. En effet, alors même que Pedro Castillo était donné vainqueur grâce aux premiers résultats, Keiko Fujimori s’est empressée de les contester, pour finalement reconnaître la victoire de son adversaire après un mois d’incertitudes. Pedro Castillo a donc pris ses fonctions de président du Pérou le 28 juillet 2021, remportant l’élection avec seulement 44 000 voix d’avance sur sa rivale.
En un an et demi, le début du mandat de Pedro Castillo fut plutôt mouvementé. Il avait, par exemple, promis de se débarrasser de la corruption au sein du système politique péruvien, mais a lui-même été visé par 6 accusations de corruption et de trafic d’influence l’impliquant directement et son entourage. Il a ainsi échappé de peu à 2 motions de destitution pour « incapacité morale ». Par ailleurs, malgré un fort soutien de la population, il a élargi le fossé de la confiance politique du peuple à son égard, en effectuant plus de 80 changements de ministres. Enfin, ses promesses de campagne non tenues et son ignorance de la politique ont achevé de détruire sa légitimité aux yeux d’une partie du peuple et du parlement.
Ainsi, Pedro Castillo a perdu, au fur et à mesure des mois, la confiance de son pays. Face à cette perte d’autorité et au risque du parlement de le destituer, il a décidé de prendre les devants, le mercredi 7 décembre 2022, en annonçant la dissolution du parlement, alors même que la Constitution ne l’y autorise pas, voulant « rétablir l’État de droit et la démocratie ». Il n’a pas été suivi par l’armée, ses ministres, le Tribunal constitutionnel ou la communauté internationale, qui ont tous dénoncé cet acte, parlant même pour certains d’un « auto-coup d’état ». Le Congrès a donc décidé d’avancer sa session parlementaire, ne tenant pas compte de la déclaration du président, et ont voté, à une majorité absolue de 101 voix sur 130, sa destitution pour « incapacité morale permanente ». Pedro Castillo a alors tenté d’obtenir l’asile politique en se rendant à l’ambassade du Mexique, mais son escorte l’en a empêché. Il s’est donc fait arrêté et a été mis en détention provisoire pour 18 mois par la Cour Suprême du Pérou. Accusé de rébellion, il est désormais incarcéré à la prison de Barbadillo, dans la périphérie de Lima, où est aussi emprisonné, depuis 2007, Alberto Fujimori, un autre ancien président péruvien.
Ainsi, Dina Boluarte, qui était la vice-présidente de Pedro Castillo lors de son début de mandat, a prêté serment le mercredi 7 décembre 2022, comme le prévoit la Constitution, devenant la première femme à assumer le poste de la présidence de la République au Pérou. Dina Boluarte a immédiatement dénoncé l’acte de Pedro Castillo, parlant d’un « coup d’état », et s’en est vite désolidarisée. La tâche de la nouvelle présidente s’avère donc compliquée, reprenant les rênes d’un pays largement divisé, étant peu connue du grand public et sans parti politique pour la soutenir. En janvier 2022, elle avait été exclue du parti de gauche radicale Perú Libre, après avoir déclaré, dans une interview, « n’avoir jamais partagé » son idéologie. Après son arrivée au pouvoir, la nouvelle présidente a alors demandé au Congrès une « trêve politique pour installer un gouvernement d’union nationale », précisant par ailleurs qu’elle gouvernerait comme prévu jusqu’à la fin du mandat, en 2026. Le Congrès l’a soutenue dans son annonce, afin d’éviter des élections présidentielles qui se seraient avérées très coûteuses.
Néanmoins, ces décisions n’ont pas fait l’unanimité au sein de la population péruvienne, notamment dans les régions rurales du pays, qui ont pris ces annonces comme une trahison politique. Ces populations possédaient une affinité forte pour Pedro Castillo, malgré les nombreuses accusations de corruption et d’incompétence dont il faisait l’objet. En effet, son ancien statut d’instituteur, originaire de la région pauvre de Cajamarca (sur les hauts plateaux du nord du pays), était vu comme un symbole fort dans de nombreuses régions pauvres et rurales. À l’inverse, Dina Boluarte ne semble pas se soucier de l’intérêt de ces régions, mais veillerait plutôt à obtenir le soutien du Congrès voire de partis politiques de droite, elle qui se retrouve sans parti et soutien politiques stables.
Ainsi, les citoyens expriment leur mécontentement concernant le système politique de leur pays, à travers des manifestations et des révoltes, qui ont du mal à rester pacifiques ; les affrontements avec la police se font alors nombreux. Les manifestants réclament des élections présidentielles anticipées, que Dina Boluarte a finalement annoncées pour 2024, mais en vain : le mal était déjà fait. Les révoltes proviennent notamment des départements du sud du pays, comme Ayacucho, Arequipa, Apurímac, Cuzco et Punoracines, dans lesquels les racines du malaise sont anciennes et profondes ; les contestations politiques y étant négligées depuis plusieurs années. Les grandes questions sociales, comme la gestion des ressources minières ou la répartition des richesses, ont laissé place à une revendication politique profonde : les citoyens n’ont plus confiance en leurs représentants. Au Pérou, le taux de popularité du Parlement peine à atteindre les 10%. La majorité des manifestants demandent la démission de la présidente et l’élection d’une assemblée constituante, chargée de rédiger une nouvelle Constitution (processus similaire à celui observé au Chili en 2021, après les importantes manifestations de 2019).
Ainsi, les révoltes s’amplifient depuis le début de l’année : le 19 janvier 2023, les manifestants ont « marché sur Lima », et les répressions et brutalités policières sont généralisées : 48 morts ont été recensés depuis décembre. La faim progresse aussi rapidement. Sous l’effet de l’inflation et d’un appauvrissement de la population, la moitié de la population péruvienne est maintenant en état d’insécurité alimentaire, ce qui renforce les mouvements de contestation.
La crise politique et l’extrême brutalité qui traversent actuellement le pays semblent donc s’installer pour longtemps, sachant que tous les présidents du pays, depuis 1990, sont en prison, en procès, en résidence surveillée, en cours d’extradition ou font l’objet d’une enquête pour corruption. Reste à savoir quelle(s) solution(s) les dirigeants vont trouver pour arrêter les manifestations et si le système politique péruvien connaîtra un changement profond ou seulement de façade…
Article rédigé par Diane Briquet
Sources :