« Il est évident que le télégraphe, les chemins de fer, le téléphone, la recherche passionnée de la science, les congrès, les expositions ont fait plus pour la paix que tous les traités et toutes les conventions diplomatiques. Eh bien, j'ai l'espoir que l'athlétisme fera encore plus. »
C’est en ces termes que Pierre de Coubertin, premier président du CIO (Comité Internationale Olympique) exprimait l’ambition éminemment politique et géopolitique des Jeux Olympiques : sublimer et pacifier les relations entre les nations. Ainsi, la récente interdiction du Japon - pays organisateur de la prochaine édition - d’exprimer un message à caractère politique constitue davantage une rupture qu’une pérennisation de l’esprit des Jeux. De fait, ces derniers ont bien souvent offert une tribune aux revendications politiques et constitué une vitrine géopolitique des grandes puissances.
Avec plus de 3,5 milliards de téléspectateurs par édition, les Jeux Olympiques sont une arme politico-médiatique redoutable. Pour un athlète, un simple geste peut suffire à révéler aux yeux du monde la négligence, voire la persécution opérée par son gouvernement.
Le 16 octobre 1968, les sprinteurs américains Tommie Smith (or) et John Carlos (bronze) tendent leurs poings gantés de noir sur le podium de la finale du 200 m des Jeux olympiques de Mexico
Les poings levés de Tommie Smith et John Carlos en 1968, lors des Jeux de Mexico, en restent à ce jour l’exemple le plus saillant. Dénonçant les lois ségrégationnistes étasuniennes, les deux athlètes profitent de leur exposition médiatique lors du podium pour brandir leurs poings gantés, en soutien au mouvement Black Power.
Le président du CIO de l’époque, Avery Brundage, dénonce une protestation contre la politique intérieure d’un pays, enfreignant ainsi le caractère apolitique revendiqué des Jeux. Il obtient l’exclusion du village olympique des deux athlètes ainsi que leur suspension de l’équipe américaine.
Toutefois, bien que le CIO s’efforce d’en entretenir le mythe, les Jeux sont loin d'être étrangers à la politique. En effet, en sa qualité de gardien de l’esprit olympique, le Comité est habilité à autoriser, exclure ou sanctionner les délégations participantes, comme l’illustre ce qui précède. Toutefois, le bras d’honneur du perchiste polonais Władysław Kozakiewicz lors des JO de 1980 à Moscou, à destination du public et autorités soviétiques restera, lui, impuni par le CIO, dirigé depuis sa création par des ressortissants du monde libre.
Si son caractère officieux de tribune d’expression politique est incontestable, les Jeux Olympiques sont plus encore l’occasion d'un affrontement géopolitique, codifié et ritualisé. D’arme des lilliputiens à piliers du soft power des grandes puissances, les JO ont acquis une importance géopolitique croissante.
La tribune des peuples conquis
Nées à la fin du 19ème siècle, les premières éditions des Jeux ne revêtent pas l’importance des éditions contemporaines : en 1896, à Athènes, seules 11 nations et 9 sports y sont représentés.
Pour autant, dès leurs balbutiements, les JO donnèrent lieu à des protestations d'ordres géopolitiques, comme l’illustre les Jeux de Stockholm. L’édition de 1912 fut en effet une tribune d’expression pour certains peuples revendiquant l’indépendance. Ainsi, les Finlandais, les Tchèques, les Slovaques ou les Hongrois, dont les nations étaient respectivement absorbées par les Empires russes et autrichiens, revendiquent le droit d’y participer à travers leurs propres délégations, et non sous la bannière des empires auxquels ils appartenaient.
Une vitrine des Grandes Nations
« L’idée olympique de l’ère moderne symbolise une guerre mondiale qui ne montre pas son caractère militaire ouvertement, mais qui donne à ceux qui savent lire les statistiques sportives un aperçu suffisant de la hiérarchie des nations »
C’est ainsi qu’à la veille de la Grande Guerre la presse allemande définit les Jeux Olympiques.
Dès lors, ils devinrent peu à peu un moyen pour le pays hôte d’organiser un rendez-vous prestigieux, à l’occasion duquel il s’efforce de prouver sa supériorité technologique et même ethnico-raciale. Ainsi, bien que l’Allemagne en fut la nation la plus titrée, les 4 médailles de l’athlète afro-américains J.Owens vinrent mettre à mal la démonstration de la supériorité de l’Homme aryen voulue par le Reich, lors des Jeux de Berlin, en 1936.
« Dites-vous que la balle de ping-pong représente la tête de votre ennemi capitaliste. Frappez-la avec votre raquette socialiste » - Mao Zedong
C’est toutefois à l’heure de la Guerre Froide (1945-1991) que le rendez-vous quadriennal atteint une ampleur inégalée. Chaque athlète, américain comme soviétique, véritable ambassadeur politique en short d’une idéologie, était tenu à la victoire face à l'adversaire, sous peine de jeter l’opprobre sur l’ensemble d’un bloc.
Cette course à la médaille d’or particulièrement marquée entre soviétiques et américains est aujourd'hui encore visible en observant le palmarès historique :
Comme le montre ce graphique, la République Démocratique Allemande (RDA), demeure dans le TOP 10 des nations ayant obtenu le plus de médailles d’or de tous les temps malgré sa courte vie (1949-1990). Plus impressionnant encore, l'URSS reste aujourd’hui deuxième avec une confortable avance sur son dauphin, en dépit de sa participation à un faible nombre d'éditions.
(L’Union soviétique ne participa qu’aux éditions ayant eu lieu entre 1952 et 1988, avec un boycott de l’édition de 1984, à Los Angeles)
Quand le sang remplace la sueur
Tristement célèbres, les Jeux de Munich de 1972 achèvent définitivement la transformation des JO en véritable arène. Un commando terroriste se revendiquant du groupe terroriste Septembre Noir s’introduit dans la chambre de la délégation israélienne et prend en otage 11 personnes. Il ordonne la fin de la rétention de plus de 200 palestiniens incarcérés dans les prisons israéliennes pour consentir à la libération des otages. Suite à des négociations mal coordonnées par les autorités allemandes, les onze otages perdirent la vie, ainsi que cinq des neufs assaillants.
La montée en puissance chinoise dans l’obtention de l’or aux JO à compter des années 90 était précurseur de l’affrontement pour l’hégémonie sur le 21ème siècle : le duel géo-stratégique sino-américain.
En effet, Malgré la déconvenue des Jeux d’été à Séoul en 1988, où elle termine hors du top 10, la Chine débute son irrésistible ascension dans le monde de l’olympisme : une troisième place (derrière les Russes et les Américains) suivit d’une deuxième (derrière les États-Unis) aux JO d’été de Sydney (2000) et d’Athènes (2004), jusqu’à décrocher une première place en 2008, à Pékin.
Depuis lors, les Jeux semblent de plus en plus être un affrontement entre les deux géants, ne laissant que des miettes au reste du globe : en 2012, Chine et États-Unis totalisent à eux seuls plus du quart des médailles décernées sur plus de 206 pays représentés, et nul doute que l’édition nippone de cet été ne fera que confirmer cette tendance vouée à devenir séculaire.
Andrea Brugiafreddo
Sources: