Par Mehdi Nejjar
L’Europe n’est peut-être pas en guerre mais la guerre est en Europe. En attaquant l’Ukraine, la Russie amène la guerre aux portes de l’Europe. La situation de l'Ukraine, coincée entre la Russie et l'Union européenne, devient difficile dès 2004 avec la Révolution orange, marquant l'opposition entre deux parties de la société, celle majoritairement pro-européenne et occidentale (surtout à l'ouest du pays) et celle russophile (surtout à l'est du pays). La difficile élection du candidat pro-européen Victor Loukachenko marque le début de relations tendues avec la Russie qui n'admet pas la prise de distance de l'ancienne république soviétique.
Au-delà de l’Ukraine, depuis son ascension au pouvoir, Poutine ne cesse de montrer son désir expansionniste avec ses interventions en Géorgie en 2008, en Crimée en 2014, en Syrie en 2015. Face à cela les Occidentaux, avec l’Union Européenne en tête, ont appliqué des sanctions envers le gouvernement Russe, ce qui n’a vraisemblablement pas empêché Poutine de continuer son bellicisme. Rappelons en perspective que le fait militaire Russe, tant que son histoire, reposent essentiellement sur un « culte du militarisme ».
La diplomatie que nous observons consiste à maintenir une influence sans pour autant résoudre les racines d’hypothétiques hostilités. La fin des tensions n’apparaît donc plus, aux vues de cette grille d’analyse, comme une fin en soi. La diplomatie russe n’est donc efficace que si elle s’accompagne d’une menace crédible. Ainsi, une diplomatie agressive doublée d’une constante militarisation de son espace abouti inévitablement à une légitimation de l’usage, possible, de la force. Cette situation produit automatiquement des tensions au sein des espaces méditerranéens, européens et transatlantiques.
Cette guerre en Ukraine, du point de vue des Russes et de Poutine, est une erreur parce qu’elle va à l’encontre des objectifs qu’il s’est lui-même fixés. Désormais, l’Ukraine est viscéralement opposée à la Russie. Le but de Poutine était de rapprocher l’Ukraine et la Russie. Ce pari déjà largement entamé après l’annexion de la Crimée, où il avait gagné la Crimée mais perdu l’Ukraine. Là, il a perdu l’Ukraine pour plusieurs générations. Il y aura un sentiment anti-russe très profond en Ukraine et c’est bien sûr contraire à ses objectifs.
Le 24 Février 2022, le président russe Vladimir Poutine a ordonné aux troupes militaires russes l’invasion de l’Ukraine. En rétorsion, la réponse occidentale ne s’est pas faite attendre en adoptant une batterie de sanctions: Ces sanctions viseront d'abord le secteur financier, ce qui signifie que 70 % des banques russes auront beaucoup plus de difficultés à emprunter sur les marchés et seront exclues du réseau SWIFT. L’UE annonce le lendemain que ces mesures sont étendues à Vladimir Poutine, à son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, mais aussi à plusieurs oligarques russes dont les avoirs en Europe seront gelés. Enfin, l'interdiction de la diffusion de Russia Today (RT) et Sputnik est actée juridiquement. Ensuite, la Russie ne pourra plus bénéficier de l'accès à des « technologies cruciales », comme les composants électroniques ou des logiciels. L'UE suspend toute exportation de pétrole russe vers l'UE, ainsi que toute vente de composants aéronautiques européens, et de composants stratégiques vers la Russie. L'espace aérien est fermé aux appareils détenus par des Russes, enregistrés ou contrôlés par la Russie. L'UE prend également la décision d'interdire les médias russes RT et Sputnik dans l'Union car ils sont accusés de propager les mensonges du Kremlin.
Ces sanctions ont aussi été intégralement reprises par la Suède et la Suisse, pays non membres de l’OTAN et historiquement neutres ce qui renforce l’efficacité des sanctions européennes notamment au sujet du gel des avoirs des oligarques russes. Le 27 février 2022, dans une action commune l'Union européenne, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada ont annoncé empêcher l'utilisation par la Banque centrale de la Fédération de Russie de ses avoirs à l’étranger. De même dans les organisations sportives ont des sanctions et des bannissements ont été entrepris face à la Russie. En effet, le CIO exhorte toutes les fédérations sportives internationales à annuler ou délocaliser tout événement prévu en Russie et à bannir les athlètes et officiels russes de toutes leurs compétitions sportives. Des sanctions similaires ont été prises par les fédérations internationales de basket, d’équitation, de judo, de sport automobile, de tennis et football. Ainsi, la FIA annonce que le Grand Prix de Formule 1 de Russie à Sotchi, prévu pour 25 septembre 2022 est annulé. L'UEFA transfère la finale de la Champions League de Saint-Pétersbourg à Paris et disqualifient la Russie de la coupe du monde 2022.
Plusieurs enjeux ici pour la diplomatie française et européenne :
Politique :
- Impliquer la Russie dans le cadre des différentes prises de décisions et d’avancées diplomatiques sur la scène internationale ;
- Reconsidérer l’organisation militaire de l’OTAN et de sa politique extérieure
- Reconsidérer la relation UE-Russie, sans tabous, en abordant les sujets sensibles
- Condamner plus fermement le non respect de la souveraineté territoriale des Etats.
- Avec la Présidence du Conseil de l’Europe, la France a ici l’opportunité d’impulser une dynamique saine et de remettre sur la table l’idée d’une clé de répartition contraignante entre les États membres lorsque l’Europe est confrontée à une crise d’envergure et à des déplacements massifs de populations
Sécurité :
- Maintenir un soutien militaire de la part des forces européennes à l’égard des pays frontaliers russes en vue d’assurer un rapport de force équitable ;
- Réengager le débat sur la sécurité européenne et du budget de la défense des pays européens
Économique :
- Garantir un système de sanctions efficace et appliqué par la majorité des pays du monde
Les sanctions économiques, qui avaient été inefficaces jusqu’ici, peuvent par leur ampleur et par leur caractère global frapper beaucoup plus durement la Russie. Les Russes sentent mis un peu au banc des nations sur les plans économique, politique, touristique et sportif. Toute la politique sportive sur laquelle Poutine avait beaucoup misé pour faire briller la Russie sur la scène internationale est remise en cause. Les Russes ont l’impression qu’ils appartiennent à un État paria et ceci va jouer. Même s’il n’y avait pas de difficultés économiques, le fait d’avoir cet isolement va forcément peser sur le moral des Russes. Les oligarques ne vont pas beaucoup apprécier de voir leur fortune être attaquée suite aux sanctions. Donc, tant l’opinion russe que les oligarques vont effectivement être très mécontents de la politique de Poutine.
En somme, Poutine a également raté son objectif qui consistait à diviser l’Europe et à fragiliser l’OTAN ce qui redonne l’occasion à la diplomatie européenne de trouver une place dans le concert des nations. La solidarité atlantique est plus forte que jamais et les pays européens augmenteront leurs dépenses militaires, y compris l’Allemagne, historiquement contre un budget militaire conséquent. La Suède et la Finlande, des pays qui étaient neutres jusqu’ici, vont sans doute rejoindre l’OTAN. L’OTAN s’est donc renforcé ce qui est tout à fait contraire aux vœux de Poutine mais tout à fait en phase avec les vœux de la diplomatie française.