17 Jan
17Jan

     Insinuations de fraude électorale, invasion et saccage des lieux symboliques de la démocratie, répression à coup de bombes lacrymogènes... Les scènes survenues le dimanche 8 janvier 2023 à Brasilia ne sont pas sans rappeler l’attaque du Capitole de 2021 au Etats-Unis. Arborrant le maillot jaune de la Seleçao et se ralliant autour du cri « Intervention militaire », des partisans bolsonaristes ont pris d’assaut la place des Trois-Pouvoirs de Brasilia, en protestation de l’arrivée au pouvoir du président Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, investi une semaine auparavant. Si le parallèle avec le 6 janvier 2021 aux Etats-Unis semble inévitable - l’épisode survenant d’ailleurs deux ans après, quasiment jour pour jour - les deux événements n’en sont pas pour autant identiques. Il importe donc d’en décrypter les similitudes, les différences, mais aussi les liens.

Ampleur du mouvement

     Les deux épisodes possèdent de nombreuses ressemblances dans les faits. Dans les deux cas, il s'agit d’une prise d’assaut de bâtiments du gouvernement (le Capitole aux Etats-Unis, le Congrès, la Cour suprême et le palais présidentiel au Brésil) par une foule de partisans d’extrême droite, découlant d’une insatisfaction et d’une incapacité à accepter les résultats d’une élection jugée frauduleuse. Cependant, les événements diffèrent en ce que, contrairement au Congrès américain durant l’attaque du Capitole, le congrès brésilien n’était pas en session lors de l’émeute de Brasilia. Les bâtiments étaient quasiment vides, et l’inauguration présidentielle ayant déjà eu lieu au moment des faits. La même chose ne peut être dite de l’attaque du Capitole, qui s’était produite pendant la session de certification du résultat des votes, avec une claire intention de mettre un terme au processus.

     Les dégâts matériels sont considérables dans les deux cas. On estime aujourd'hui à plus de 2,7 millions de dollars les dommages causés par l’attaque du 6 janvier. Si nous n’avons pas encore aujourd’hui le recul nécessaire pour une telle analyse du côté brésilien, les images et témoignages parlent d’eux-mêmes : des bureaux de parlementaires ont été saccagés, des murs tagués, des oeuvres d’art du patrimoine national endommagées. Si plus de 80 personnes ont été blessées, il n’y a pas eu de décès constaté pendant l’invasion, contrairement à l’attaque américaine, qui avait entraîné la mort de 6 personnes. On constate aussi pour les deux des difficultés de la police à contenir l’émeute. Au Brésil, cette incapacité à maîtriser la situation a entraîné la suspension d’Ibaneis Rocha, le gouverneur du district fédéral, jugé responsable de l’échec dans le maintien de la sécurité. Les deux événements ont donné lieu à des milliers d’arrestations dans les jours suivant l’invasion.

Insinuation de fraude

     Les deux insurrections puisent leur énergie immédiate dans des discours sur une potentielle fraude lors de l’élection présidentielle. Ces insinuations ont, dans les deux cas, été martelées par les deux ex-présidents de droite des mois avant la tenue des élections. Le lien est évident entre ces discours et ceux qui sont ensuite endossés par les soutiens. Ces allégations ont été relayées massivement sur les réseaux sociaux et ont alimenté des vagues de fake news. De tels propos sont nocifs pour la démocratie car ils sapent la confiance des électeurs en leurs institutions. Paradoxalement, certains émeutiers ont agi, dans les deux cas, « au nom de la démocratie ».

     Le lien de causalité entre les deux événements n’est pas à exclure. En 2021, Bolsonaro, loin de condamner les actes de vandalismes du Capitole, avait déclaré que « le manque de confiance » avait « conduit à ce qu'il se passe ». Il en avait profité pour affirmer que « la fraude existe aussi au Brésil » et qu’il « pourrait s'y passer la même chose », en prémonition des événements à suivre. Ce lien trouve son incarnation avec Steve Bannon, l’ancien conseiller de Donald Trump, qui après avoir déconseillé à Jair Bolsonaro de reconnaître les résultats des élections ayant conduit à sa défaite en novembre, a salué la tournure des événements du 8 janvier sur le réseau social Gettr : « Lula a volé les élections... Les Brésiliens le savent... ».

     Si le lien entre le discours du leader et l’émeute qui a suivi est indéniable dans les deux cas, la part de responsabilité à accorder au président sortant n’est pas la même selon l’événement. Contrairement à Trump suite aux résultats de l’éléction présidentielle en 2020, Bolsonaro a abandonné les revendications de fraude dès sa défaite. Cet abandon peut être attribué au fait que, s’il a perdu la présidence, le parti de Bolsonaro a gagné des places à l’Assemblée. Cela rend absurde, ou du moins très improbable l’hypothèse d’une élection frauduleuse. Etrangement, les Républicains se trouvaient dans le même cas de figure en 2020 (défaite de l’exécutif et victoires aux législatives), mais cela n’a pas empêché Trump de poursuivre ses revendications bien après sa défaite. Si la réaction de Bolsonaro sur Twitter quelques heures après les faits n’a rien d’une condamnation, il a tout de même déclaré que « les pillages et les invasions de bâtiments publics (...) enfreignent la règle », critiquant ainsi une certaine violence, contrairement à son homologue américain, accusé de son inaction pour mettre un terme à l’attaque.

     Après une enquête de 18 mois, le comité chargé de l’investigation de l’attaque du 6 janvier avait conclu sur un engagement criminel de la part de Trump dans une « conspiration en plusieurs parties ». L’implication exacte de Bolsonaro et de son parti dans les événements est aujourd’hui incertaine. La récente découverte d’un document contenant un plan de prise du contrôle du tribunal chargé du bon fonctionnement du scrutin, dans le placard de l’ancien ministre de la justice brésilienne Anderson Torres laisse fort à désirer. Le parti bolsonariste aurait-il cherché à annuler l’élection de Lula ? Pour le moment, Bolsonaro est sous investigation dans le cadre d’une enquête ouverte afin de faire la lumière sur ces événements.

Populisme et démocratie

     Ces épisodes se sont tous deux inscrits dans un contexte plus large d’une fragilisation globale de la démocratie. Ce ne peut être un hasard si ces deux événements se sont produits dans deux des pays où la fracture populiste est la plus présente au monde. Les deux partis aux noms desquels les émeutiers ont agi possèdent de nombreux points communs. Ce sont deux populismes de droite, alliant conservatisme et protectionnisme. Leurs deux leaders respectifs ont construit leur image et celle de leur parti autour de propos controversés, niant notamment la question écologique, ainsi que les contre-pouvoirs démocratiques. La polarisation croissante des partis dans les deux pays a sans aucun doute contribué à créer un contexte favorable pour un tel événement.

     Il est tout de même utile de préciser que les deux états sont loin d’être égaux devant cette question de fragilité de la démocratie. Là où les Etats-Unis possèdent plus de deux siècles de pratique démocratique à leur actif, la démocratie brésilienne, elle, n’a que 38 ans. Elle est donc indéniablement moins établie que la première. D’autant que les scandales de corruption sont extrêmement fréquents au Brésil. C’est d’ailleurs pour son implication dans une telle affaire (le scandale du Lava Jato) que le président brésilien actuel avait atterri en prison d'avril 2018 à novembre 2019. La démocratie brésilienne en est donc infiniment plus vulnérable.

Article rédigé par Pauline Martel

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