Des transitions turbulentes
La passation du pouvoir démocratique aux Etats-Unis n’a pas toujours été des plus faciles. Les “réglementations de minuit”, règlements publiés par le pouvoir exécutif en période de transition, avaient souvent pour finalité de réduire le pouvoir d’action du nouveau président élu. La passation entre John Adams et Thomas Jefferson en 1802 en est un exemple connu, le Président Adams ayant hâtivement nommé de nombreux juges fédéraux, ce qui a donné lieu à la décision Marbury v. Madison de la Cour suprême en 1803. Mais depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les présidents n’ont fait qu’améliorer la coopération, en mettant par exemple en place des groupes de travail de volontaires bénévoles responsables de la rédaction de rapports sur la situation politique interne et externe.
Des conditions légales mises en place depuis 2008
Le 9 octobre 2008, George Bush est allé jusqu’à définir légalement certains aspects de la transition en édictant deux décrets présidentiels. Le deuxième prévoit la création d’un Conseil de coordination pour la transition présidentielle. Ce conseil doit comprendre des responsables de la sécurité nationale, du territoire et de l’économie, qui peuvent s’appuyer sur l’aide de conseillers externes. A cela s’ajoute la coopération essentielle du Bureau de la Gestion du personnel de la Maison Blanche, qui doit constituer un certain nombre de dossiers compilant des informations sur les emplois fédéraux relatifs à la nomination du Président des Etats-Unis, mais aussi sur les emplois pourvus par le Président ainsi que sur les postes qu’il faudra pourvoir, afin d’assurer le bon fonctionnement du nouveau gouvernement fédéral. La coopération pendant la transition est donc essentielle au bon démarrage du nouveau mandat.
Conséquence du Coronavirus: le scrutin postal
Le Coronavirus, qui a tué plus de deux cent cinquante-quatre mille personnes aux Etats-Unis à ce jour, a transformé l’organisation du vote des élections présidentielles. De nombreux états ont pris la décision, plusieurs mois avant le 3 novembre 2020, de favoriser le scrutin postal en raison des mesures sanitaires. Dès juillet 2020, les états d’Utah et d'Hawaï avaient pris la décision de limiter le vote au scrutin postal, et 33 états ont choisi de laisser la possibilité à tout votant de s’exprimer par scrutin postal, quelle que soit sa situation médicale. Seuls quatre états, le Texas, la Louisiane, le Mississippi et la Caroline du Sud, n’ont autorisé que les individus ayant des problèmes médicaux - autres que le coronavirus - à voter par scrutin postal. Les premières estimations du Washington Post montrent qu’au moins cent deux millions de votants ont exprimé leur choix par scrutin postal.
Les difficultés du service postal américain
Suite à la décision faite par de nombreux états de faciliter l’accès au scrutin postal, le Président des Etats-Unis a fait le choix de nommer Louis DeJoy, un de ses plus grands donateurs, à la tête du service postal américain. Cette nomination a eu pour conséquence de ralentir les flux postaux, tel que le voulait Trump. En effet, cette manœuvre avait pour finalité de contrer le phénomène du “Blue shift”, identifié par Edward Foley, professeur à Ohio State University, en 2013. Ce professeur a montré que les scrutins obtenus en bureau de vote ont plus de chances d’être en faveur du parti Républicain, alors que les scrutins postaux ont au contraire plus de chances d’être en faveur du parti Démocrate. Trump est allé jusqu’à déclarer publiquement qu’il refusait d’augmenter le financement du service postal à cause du scrutin postal. Le service postal, au bord de la faillite, a donc déclaré que tous les scrutins postaux ne pourraient être livrés aux bureaux de vote le jour des élections, ce qui n’a fait que renforcer les accusations de fraude.
La fraude
Maintenant que les élections présidentielles sont passées et que le résultat est connu, le Président actuel des Etats-Unis refuse d’admettre sa défaite. Son argument principal: la fraude “massive” à cause du scrutin postal. En effet, selon lui et son service juridique, mené par Rudy Giuliani, de nombreux scrutins républicains n’auraient pas été comptés alors que des scrutins démocrates auraient été comptés plusieurs fois. Le service juridique de la Maison Blanche a donc enclenché une déferlante de procès contre les états dans lesquels la course a été particulièrement serrée, notamment en Pennsylvanie, en Géorgie, dans le Michigan ou encore le Wisconsin. De nombreuses demandes de procès ont été refusées, ce qui laisse peu de chances de voir une procédure juridique transformer le résultat des élections. Mais au-delà de la problématique juridique, ces procès ont la fonction de faire douter le peuple américain quant à la validité de ces élections, et de faire hésiter ceux responsables de la certification des élections présidentielles au niveau de l’état.
Si le nouveau chef d’Etat a d’hors et déjà attribué un certain nombre de postes de la Maison Blanche, ce sont près de 4000 postes qu’il devra distribuer d’ici les premiers mois de son mandat. En effet, il doit nommer les membres du cabinet, c'est-à-dire le gouvernement composé de 15 ministres, et les membres du Bureau Exécutif, à savoir l’équipe directement au service du président, dont seulement 6 hauts fonctionnaires ont rang au cabinet. Au moment de la rédaction de cet article, quelques noms sont déjà sortis concernant le bureau exécutif et le cabinet. Cependant, tant que l’Administration Biden ne sera pas au complet, elle continuera d’alimenter espoir et crainte auprès de l’électorat de Biden.
Quels sont les postes déjà attribués ?
Le secrétaire général de la Maison Blanche est désormais connu de l’opinion publique : c’est l’avocat Ron Klain qui obtient ce poste de chef de cabinet et devient ainsi le premier fonctionnaire à être officiellement nommé par Biden. Ron Klain et Joe Biden ont, à maintes reprises, travaillé ensemble –notamment en tant que chef de cabinet du vice-président Biden de 2009 à 2011 et plus récemment, en tant que conseiller principal de la campagne Biden-. Par ailleurs, Ron Klain avait été nommé dès 2014 par le président Barack Obama pour coordonner la réponse de l'administration à l’épidémie Ebola : un choix stratégique pour lutter contre le covid 19 ?
L’adjointe au chef de cabinet Ron Klain est également dévoilée, Klain sera ainsi assisté par la directrice de campagne de Joe Biden, Jen O'Malley Dillon, première femme à avoir conduit un candidat Démocrate à la Maison Blanche.
Stevie Richetti a ensuite été nommé conseiller du président. Ancien lobbyiste et chef de cabinet de Biden lorsque ce dernier était vice-président, il aura désormais pour rôle de fournir des conseils stratégiques au président nouvellement élu.
D’autres anciens de l’administration Obama ont également été nommés à des postes clefs de la Maison Blanche. Ainsi, Mike Domilon devient conseiller principal du président, Annie Tomasini directrice des opérations du bureau ovale et Dana Remus conseillère juridique.
A cela s’ajoute Cédric Richmond, nouveau directeur de l'Office de l'engagement public, qui assurera donc le lien entre l’administration Biden et la société civile. Membre du Congrès de Louisiane, coprésident de la campagne de Biden et ancien président du « Congressional Black Caucus », il a été un atout pour convaincre la communauté afro-américaine lors de la campagne Biden.
Julie Chávez Rodriguez, directrice de campagne adjointe du candidat Démocrate, sera quant à elle directrice des Affaires intergouvernementales, et assurera ainsi la coordination entre l’Administration Biden et les Etats et collectivités locales.
Qui s’occupera désormais de la sécurité nationale et de la diplomatie de la première puissance mondiale ? A cette question, Joe Biden a d’abord répondu Antony Blinken qui se voit attribuer le poste de chef de la diplomatie américaine, après avoir occupé celui de secrétaire d’Etat adjoint et conseiller adjoint à la sécurité nationale auprès de l’Administration Obama. A cela s’ajoute le poste de conseiller à la sécurité nationale désormais occupé par Jake Sullivan. Jake Sullivan est également un politicien expérimenté qui a notamment été assistant principal d’Hillary Clinton. Concernant la direction du département de la sécurité intérieure, Biden réaffirme sa volonté de représenter tous les Etats Unis dans leur diversité, en nommant Alejandro Mayorkas, premier latino à posséder cette responsabilité. Enfin, pour la première fois, une femme, Avril Haines, dirigera le renseignement national aux Etats Unis.
Pour mettre en place son programme écologique ambitieux, Joe Biden a choisi d’être épaulé par John Kerry, nouvel émissaire des Etats Unis en matière de climat. Il est également une figure politique connue, puisqu’il a candidaté à l’investiture démocrate et a occupé le poste de secrétaire d’Etat auprès d’Obama pendant son second mandat.
Une autre femme se retrouve à la tête d’un poste clef de l’Administration Biden, surtout au cœur de la crise économique causée par la covid 19 : Janet Yellen devient, en effet, la première femme secrétaire du Trésor.
Enfin, Jill Biden, épouse de Joe Biden et désormais nouvelle Première dame, sera entourée de Julissa Reynoso Pantaleon et Anthony Bernal, respectivement Cheffe de cabinet de la Première Dame et conseiller principal.
Les espoirs des électeurs
Dans une enquête exclusive publiée par Data For Progress (DFP) en partenariat avec Vox, nous découvrons les attentes des électeurs potentiels concernant la composition du futur cabinet de Joe Biden. Ce sondage a été mené en deux parties : d’abord du 28 au 29 octobre avec 1253 réponses de futurs électeurs ; puis du 5 au 6 Novembre avec 1095 réponses.
La première tendance qui ressort de ce sondage est la volonté de la part des électeurs de ne pas retrouver de chefs d’entreprises au sein du cabinet de Biden. En effet, 69% des électeurs estiment que les FTN et les citoyens les plus riches ont eu une trop grande influence dans les précédents cabinets présidentiels. Plus précisément, ce sont 74% des Démocrates, 69% d’indépendants et 64% des Républicains qui ont ce sentiment. Inversement, les électeurs s'inquiètent du fait que les scientifiques, la classe ouvrière et les entreprises d'énergie propre n'ont pas assez d'influence sur l'élaboration des politiques.
En outre, d’après cette étude, les américains espèrent retrouver un cabinet représentatif de la diversité de leur pays. Cet espoir, Joe Biden semble l’avoir compris comme l’affirme Cameron French son porte parole de transition : « Comme il l'a fait pendant la campagne, Joe Biden s'efforcera de trouver des voix diverses pour développer et mettre en œuvre sa vision politique afin de relever les défis les plus difficiles de notre nation ». S’il y parvient, ce président pourrait satisfaire 49% des électeurs interrogés dont 72% des Démocrates, 40% des indépendants et 34% des Républicains.
Enfin, le sondage montre que la majorité des électeurs ne serait pas opposée à la présence d’un ou plusieurs Républicains au sein du cabinet. Cependant, l’exigence la plus prégnante de la part des électeurs potentiels est la présence future d’un ou plusieurs progressistes à la Maison Blanche, et qui plus est à des postes importants. Ainsi, 39% des électeurs interrogés sont de cet avis, avec spécifiquement 56% des Démocrates, 32% des indépendants et 26% des Républicains, même si 29% des électeurs ont déclaré être neutres concernant cette question. Nommer un ou plusieurs progressistes à des postes clefs de la présidence permettrait au nouveau président de satisfaire les exigences des différentes ailes du parti Démocrate. Cependant, cette volonté pourrait se heurter à l’opposition républicaine.
L’attente jusqu’au dévoilement des membres du cabinet du président nouvellement élu sera donc longue et les choix de Joe Biden quant aux personnalités qui le conseilleront seront des indicateurs de la manière dont sa politique sera menée.
Charlotte Le Roux & Emilie Dubernard