15 Feb
15Feb

     À l’aube du lundi 6 février, un violent tremblement de terre de magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter a endeuillé le nord et l’ouest de la Syrie, déjà ravagée par douze ans de guerre, et une grande partie du territoire turc. Comme l’ont précisé des experts nippons, la Turquie se trouve au-dessus « d’une concentration de failles et des séismes pourraient survenir de manière successive ». À ce jour, malgré le fait que les normes antisismiques turques furent jugées « conformes aux recommandations » par ces mêmes experts, plus de 35 000 victimes ont été recensées et ce n’est pas se tromper que d’affirmer que d’autres décès seront à déplorer. Sans parler des 400 000 personnes contraintes d’abandonner leur logement et leur terre dans les zones touchées par le séisme. Néanmoins, des miracles se produisent et les secours arrivent à retrouver des survivants dans les décombres même après la période précieuse des 72 heures. À la suite de ce drame, les gouvernements turcs et syriens se retrouvent confrontés à la colère, le désespoir des habitants et la pression de la communauté internationale. Tout l’enjeu se trouve maintenant dans les mesures qu’ils mettront en place pour la reconstruction des bâtiments et pour l’amélioration des conditions de vie futures de la population turque et de la population syrienne.

     Un des nombreux contentieux en Syrie réside dans la relation entre le président Bachar Al-Assad et les zones du territoire contrôlées par les rebelles. Jusqu’ici, un seul point de passage permettait aux organisations humanitaires d’acheminer de l’aide aux habitants des zones rebelles depuis la Turquie, mais après ce violent séisme, un seul point d’acheminement n’est plus suffisant. D’ailleurs, Martin Griffiths, le chef de l’agence humanitaire de l’ONU, a lui-même admis que les habitants de ces régions se sentaient « à juste titre abandonnés » puisque l’aide humanitaire ne parvenait pas jusqu’à eux. Il s’agit maintenant pour le président syrien d’autoriser la création d’autres points de passage pour permettre aux zones rebelles de bénéficier des apports des ONG, chose qu’il s’est dit prêt à accepter. Sous la pression internationale sans doute, puisque Bachar Al-Assad a fait cette annonce après s’être entretenu avec Tedros Adhanom Ghebreyesus, le chef de l’Organisation Mondiale de la Santé. Comme l’a écrit le quotidien libanais L’Orient- Le Jour : « Assad veut tirer profit de l’aide humanitaire internationale pour sortir de son isolement économique et diplomatique ». Le président syrien profiterait donc de la situation tragique pour que son gouvernement et son pouvoir soient reconnus par l’ONU à travers tout le pays, et ce, en s’assurant que tous les points de passage de l’aide humanitaire soient contrôlés par Damas. Se cache donc derrière la réaction du gouvernement un véritable souhait de faire jouer les relations géopolitiques en sa faveur et l’appel à l’aide officiel de Bachar Al-Assad auprès de l’Union Européenne n’est qu’une illustration parmi d’autres. Il ne serait pas forcément faux d’affirmer que le président syrien ne peut plus se reposer que sur ces deux alliés principaux, la Russie et l’Iran, étant donné que ces deux pays font l’objet de nombreuses sanctions internationales dans les domaines économique et diplomatique notamment. Damas semble assez clairement vouloir utiliser le séisme comme tremplin pour reprendre sa place au sein de la communauté internationale et faire taire ses détracteurs situés dans les zones rebelles.

     Du côté de la Turquie, la situation n’est que légèrement meilleure. Le séisme a réveillé les mécontentements des habitants envers l’État, qui est mis à rude épreuve, d’autant plus depuis le tremblement de terre qui a fait plus de 28 000 morts sur le territoire. La colère de la population turque s’est élevée juste après que Recep Tayyip Erdogan a décidé de suspendre Twitter pendant un moment. Or, la solidarité, notamment envers les régions les plus délaissées, s’organisait via les réseaux sociaux dont Twitter. Ce geste du gouvernement a donc accentué son image d’une entité absolument déconnectée de la dureté à laquelle est confrontée le peuple. Un exemple flagrant de cette dissociation entre le gouvernement et le peuple se trouve à Diyarbakir. Dans cette ville ravagée par le séisme, l’aide aux victimes, kurdes en majorité, provient d’associations de la société civile et des habitants eux-mêmes, puisque ni la mairie ni le gouvernement de la région n'ont montré une once d’intérêt. Il importe de préciser que les occupants des postes sont proches du cercle du président turc depuis que les membres élus ont été évincés en 2020.  Du discours du chef de l’État jusqu’à la gestion de la crise, très peu coordonnée, sur le terrain, le gouvernement semble toujours plus en difficulté, et cela pourrait davantage transparaître lors des élections présidentielles et législatives prévues en mai… si tant est qu’elles aient lieu. Il s’agit, encore une fois, d’une affaire d’image pour le gouvernement de M. Erdogan. Malgré cela, les secours et la population en elle-même s’organisent en autonomie : effectivement, plus de 34 000 personnes œuvrent pour retrouver les survivants, subvenir aux besoins fondamentaux des rescapés et commencer la reconstruction des bâtiments détruits.

     Finalement, ce séisme a montré à quel point la différence dans la gestion de la situation par les deux pays était notable : d’un côté, un des seuls pays développé de la zone avec Israël a vu des équipes sur place se former pour répondre à la tragédie et ce malgré quelques dysfonctionnements ; de l’autre, un pays frappé par une guerre sans fin, fragilisé par les tensions (géo)politiques et un gouvernement qui bloquent en partie la prise de décision pour gérer ce désastre. Alors que la Grèce, par exemple, est passée outre les différends qu’elle avait avec la Turquie et a envoyé son ministre des affaires étrangères visiter les sinistrés, des clans se créent en Syrie, et les soutiens de Bachar Al-Assad se comptent sur les doigts d’une main. Le parti libanais Hezbollah en fait partie et il a d’ailleurs envoyé de l’aide humanitaire dans le pays. Mais par-delà ce geste, il renforce son soutien à Bachar Al-Assad dans le conflit qui l’oppose aux rebelles et à Israël également. Ce tremblement de terre est le dernier élément d’une longue liste ayant mis en lumière le désir viscéral de gouvernements de renforcer leur emprise sur le peuple.

Article rédigé par Marianne Assaf

Sources :

  • Le Monde
  • Courrier International
  • L’Orient-Le Jour
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